Feu sur les palais délicats des Indes !

Le palais demeure au cœur des préoccupations du touriste se rendant en Inde. Souvent, il est au cœur de ses préoccupations et constitue un objectif essentiel pour son périple. Le visiteur des mille et une nuits aborde le sujet avec à la fois un certain appétit de découverte mais aussi une certaine appréhension, voire avec de la méfiance. Les joies que peuvent lui procurer la découverte sont  très souvent estompées par les conséquences de son investissement dans ce parcours initiatique : la richesse du palais peut en effet faire tourner la tête de celui qui le fréquente ! Tous s’annoncent en effet flamboyants pour ne pas dire chaleureux, mais surtout il faut être vigilants, car les apparences sont trompeuses.

Ciselés, finement décorés, accommodés avec des ingrédients tirés du sol, richement parfumés ou colorés, les apports, pour l’étranger, deviennent parfois surprenants ou un tantinet dévastateurs. Il faut donc aborder la « dégustation » proposée au menu du voyage avec  méfiance. D’abord parce que tout est dissimulé, et que nul ne peut vraiment savoir ce qui l’attend quand il se lance dans la visite. Ce qui fut fastueux devient très piquant dès que l’entrée a été franchie… on se sent alors brutalement saisi par l’émotion ou on s’enflamme illico !

Très structurés en espaces successifs, on apprend vite à résister à la chaleur de la première impression pour poursuivre son chemin. On a beau avoir reçu des mises en garde, on est secoué par le goût et la vigueur de la découverte. Raffinement recherché, débauche de saveurs délicates, libre service pour l’invité au festin des à plats : durant des siècles les concepteurs ont eu à cœur de mettre en valeur ce qui constitue la qualité. Il fallait, pour ces créateurs, que la richesse transparaisse dans des choix extrêmement méticuleux. On peut même parler sans risque de rites, puisque tout fut pensé dans l’ordonnancement de la « construction » de ce qui devait finalement constituer une œuvre unique. Dans le palais s’entremêlent les couleurs, s’exhalent les odeurs, se dévoilent des saveurs inhabituelles. Impossible de rester insensible à cette conjugaison sophistiquée des spécificités indiennes. On en prend plein le… palais.

La recherche de l’excellence tourne parfois à l’obsession, car la moindre faiblesse dénaturerait le résultat. Malgré la pauvreté générale, les « maîtres » ont mobilisé des ressources venues d’ailleurs. Elles sont arrivées durant des siècles par les caravanes avançant au rythme lent des dromadaires permettant un vrai mûrissement des motivations et des propositions. L’adresse des uns, la finesse des autres, la créativité de tous transformaient des matières premières en œuvres d’art. A petites doses, on ajoute maintenant à des matières basiques blanches, translucides ou ocres les splendeurs venues des terres environnantes. Une touche fine et légère change totalement les structures initiales et offre un tableau surprenant. Un savoir-faire minutieux modifie considérablement la texture des matières. Partout le « palais » indien sait absorber des cultures diverses afin de transformer avec subtilité le banal en extraordinaire. On savoure la brillance, l’éclat, la profusion, la tonicité mais on reste sur sa faim quand on ne peut pas entrer dans les véritables secrets des recettes. Il nous manque les clés de recette !

Il est aisé de comprendre que les femmes n’ont pas eu de rôles réels dans ces inventions artistiques ou du moins, si c’est le cas, on passe sous silence leur contribution. Elles œuvrent cependant en amont dans l’essentiel, c’est-à-dire l’élevage et la préparation des produits de base. Tout est naturel, calculé, puisé dans la nature via des fleurs, des fruits, des animaux, des pierres, pour que l’imagination puisse donner toute sa mesure. Les mélanges deviennent alors les facteurs essentiels de la réussite. Ils nécessitent une dextérité particulière car les dosages minutieux donnent toute sa valeur au produit fini. Dans le palais indien se trouve le royaume privilégié de la délicatesse fracassante, celle qui transforme la simplicité en un assemblage complexe. Après en avoir apprécié naïvement les premières touches le « convive » découvre les effets secondaires de ces savants assemblages. La création accroche, secoue, détonne par rapport aux apparences, dépouillée de tout excès dont on ne se méfie pas ! En fait, celui qui tente l’aventure prend de plein fouet cette puissance, cette richesse, cette finesse dont on n’imagine pas un instant qu’elle puisse exister avant de l’avoir dégustée.

Durant des siècles les voyageurs ne vinrent en Inde que pour piller ses ressources les plus précieuses ou les plus subtiles. Ils repartaient avec leur besace emplie de produits inédits ou de techniques inconnues. Vite intégrés dans le luxe de leurs pays d’origine ces « apports » ont tous fini par appartenir au quotidien, modifiant aussi les modes de vie occidentaux. Les palais en Inde n’ont pas tous eu le privilège de résister à l’épreuve du temps. Beaucoup ont été oubliés. Certains se sont tournés visiblement vers un modernisme des goûts qui fait que leur finalité à totalement changé. La restauration dans tous les sens du terme a par exemple donné une nouvelle jeunesse aux bâtisses ostentatoires des maharajas. Il y a palais et palais !

Sous les ors et les décors les buffets d’accueil, dans des marmites joufflues, mettent le feu aux… palais occidentaux, brûlent les gosiers des imprudents qui s’enflamment un peu trop vite pour les plats indiens. Des lentilles innocentes en sauce constituent des « bombes incendiaires » redoutables, d’inoffensives aubergines explosent sur la langue, de agneaux sans défense plongés dans des sauces colorées passent au lance-flamme des gorges, des beignets en embuscade fracassent les papilles… Tous les mets sentent la poudre d’épices et préparez-vous si vous allez chez les Indiens à brûler de passion pour leur cuisine de palais…délicats !

 

Cet article a 2 commentaires

  1. Christian Coulais

    à lire chacun de ces articles qui nous décrivent un pays dont on parle si peu, par rapport à bien d’autres pays « émergents », il ne manque plus que l’accomplissement de trois voeux pour un meilleur karma de l’auteur :
    1) un jumelage avec une ville indienne où le vélo est roi…à côté de l’éléphant et autres dieux.
    2) un partenariat avec une télé locale et Télé Canal Créonnais http://www.telecanalcreon.fr/
    3) un festival du cinéma indien au MAX LINDER ! http://cinemaxlinder.free.fr/

  2. cubitus

    Sachez que vous avez vraisemblablement échappé au pire. En effet, si j’en crois le guide indien qui nous accompagnait lors d’un voyage dans ce pays, la nourriture servie aux touristes dans les restaurants leur est adaptée même si elle apparaît excessivement relevée aux délicats palais occidentaux. Comme je m’étonnais qu’on le serve systématiquement à part, il me répondit : « Ce qu’on vous sert est en réalité très peu épicé pour nous.On ne pourrait pas le manger chez nous, on le trouverait trop fade. »

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