Il se moque de la nuit. Il est là, installé au faîte d’une maison encore endormie, la tête vers le ciel, vaniteux et arrogant, comme s’il voulait que son message traverse l’espace et le temps. Les spécialistes prétendent qu’il revient, année après année, faire ses déclarations d’amour ou de colère sur les mêmes lieux, par fidélité à l’air qu’on lui a prêté durant les plus beaux mois. Visiblement heureux, enthousiaste même, il aborde la campagne 2012 avec une détermination absolue, puisqu’il sait qu’il n’a que quelques semaines pour convaincre.
De sa tribune hautaine, il en appelle avec ostentation au peuple, dont il ignore les contours et les réalités, et sans vergogne, il profite du silence des autres pour se tailler une belle part d’un succès éphémère. Les femmes et les hommes qui n’ont pas le cœur à écouter ses envolées lyriques, en cette période où le soleil n’a pas encore précisé toutes les formes de la ville, il les ignore. Le candidat au bonheur, en cette aube naissante du printemps, n’a cure du sommeil des justes. Pour lui l’essentiel demeure, en cette période de renaissance, de s’égosiller, de se rengorger du plaisir irremplaçable d’être celui que l’on attend. Il jubile intérieurement, sans pouvoir cependant refreiner son irrépressible besoin de notoriété. Sur un fond de ciel commençant à bleuir, on distingue une tache pointue et jaune, comme une microscopique parcelle de l’astre qui doit chasser l’obscurité. Lui, il célèbre par anticipation les mois des lumières, alors que le siècle qui leur a été attribué n’a plus cours sur cette terre. Il improvise avec une époustouflante virtuosité l’hymne à la joie de voir revenir l’espoir de jours meilleurs. Il sait bien que ce ne sont plus, depuis belle lurette, les hirondelles qui font le printemps, puisque les hommes ont passé leur temps à détruire leurs nids de boue sèche sous les avants-toits, au prétexte que les sols devaient rester nets. Le prophète c’est lui, et ce n’est pas un lancinant « coucou » venu des sous-bois qui lui volera la vedette. Certes, il existe aussi les virtuoses, les ténors qui n’ont ni son volume, ni sa prestance visible. Ces « rossignols » flamboyants croient appartenir à une caste ancienne dont on sait que certains de ses membres ont terminé leur vie sur des podiums dressés dans des cages dorées. Lui, il respire la liberté. Il enflamme la nuit de ses envolées lyriques. Il se déchaîne en mêlant toutes les techniques allant des arabesques complexes aux brèves phrases incisives. Jamais une répétition, mais une improvisation dévastatrice car souvent trop enrubannée, comme s’il était nécessaire de beaucoup en faire pour séduire ! Il n’a cependant aucun public visible.
Je suis là, seul, comme un idiot, à écouter des sornettes musicales, alors que mon temps est compté. Immédiatement monte en moi un refrain qui me trotte depuis des décennies dans la tête. Je revois une petite dame menue, fragile même, d’une voix cristalline, interpréter le plus bel hymne révolutionnaire qui soit. Son mari, ouvrier cimentier à ses côtés, impressionné par l’audace de son épouse qui traduisait par le chant la culture qu’elle avait en elle. A la fin du repas, le silence était aussi pur que celui de ce petit matin créonnais, pour déguster la beauté naïve d’un message. Clémence, c’était son prénom. Quel beau prénom en cette période où justement plus personne ne voudrait utilement le porter. J’aimerais tant que 141 ans plus tard la Gauche de mon pays s’empare de cette chanson. La belle Commune de Paris, celle de Louise Michel, est née le 18 mars, quelques heures avant le printemps, pour s’achever dans le sang de celles et ceux qui avaient cru dans les vertus du politique face aux pouvoirs arrogants de l’argent qui les avait conduits à la défaite et à la famine.
Avec les trilles qui redoublent, en poursuivant mon chemin vers des occupations que je pense toujours essentielles, alors qu’elles ne sont que l’écume dérisoire de la vie, je fredonne le « Temps des cerises », en hommage à Clémence et à son « merle moqueur ».Le mien, ce matin, il est là, juché au-dessus des habitations des hommes, sifflant avec vigueur, combativité et élégance, sa passion pour celle qu’il ne connait pas mais qu’il aime déjà. Combien je voudrais que Léa et Julien, mes petits-enfants, ne ressentent jamais cette déception de ne pas avoir su sauver les valeurs qui fondent la vraie qualité de la vie sur terre… Qu’en écoutant le « merle moqueur » ou le « gai rossignol », ils n’éprouvent pas ce sentiment d’impuissance qui m’assaille. En défiant les dernières étoiles du ciel, avec panache et talent, l’oiseau du printemps laborieux et sobre, se mue en militant d’un printemps que nous devrions toutes et tous emprunter à celui qui a été affublé du qualificatif d’arabe. Dans le fond, c’est lui qui délivre le plus beau des messages.
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La poésie n’a d’égal que le sens profond de la chose que l’on sait indestructible:
Votre, notre conviction, d’être au monde avec l’amour de son prochain.
Il n’y a rien d’autre à sauver, donc, que le temps que l’on se donne à fredonner ceci:
nous sommes heureux, et ils n’y pourront rien !
Bien sur, un monde plus doux pour nos petits enfants, nous nous en sentons responsable, mais leur donner en héritage la force de lutter, cela est un cadeau précieux, Monsieur.
Très beau texte d’un homme en métal de gauche massif!
Inclassable et plein d’allusions indéchiffrables.
L’ami de Chassaigne et Quilès est fondé plus que tout autre à chanter « le temps des cerises »
merci
Merci pour cette très juste chronique. Que ce chant printanier puisse éclairer les consciences de nos amis, voisins, parents et autres personnes connues et inconnues afin que les semaines qui suivent, soient plus favorables au petit peuple de France, bien au-delà du temps de la cueillette des cerises…