Il va falloir s’y habituer : les journalistes ne sont plus en odeur de sainteté dans une société qui n’accorde pas une grande importance à la qualité de l’information. On approche à petits pas de la normalisation médiatique globale… car il ne sera bientôt plus possible de révéler quoi que ce soit. L’encadrement, par des textes successifs, de la notion réputée pourtant inviolable du secret des sources, a fini par créer un climat d’autocensure irrémédiable. L’exemple le plus probant devient, au fil des mois, celui de l’infortune Bettencourt avec des éléments successifs donnés par la presse, sans lesquels il n’y aurait jamais eu d’affaire. Médiapart et Le Point ont publié en juin et juillet 2010 d’abondants extraits des enregistrements réalisés par le majordome de Liliane Bettencourt au domicile de cette dernière entre mi-2009 et mi-2010. Cet employé cherchait à prouver que la milliardaire, octogénaire et affaiblie intellectuellement, était entourée de personnes qui la manipulaient et il n’avait pas d’autre solution que « d’utiliser » les supports médiatiques. Il avait donc apporté le produit de ces enregistrements à la fille de Mme Bettencourt qui les avait transmis à la police.
Quatre journalistes de Mediapart et du Point, outre l’ex-journaliste de Mediapart, Fabrice Lhomme, sont maintenant convoqués à Bordeaux en vue de mises en examen dans le volet d’atteinte à l’intimité de la vie privée dans l’affaire Bettencourt. C’est la rançon légale d’avoir révélé ce que tout l’entourage croyait voir demeurer secret. Le directeur et le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Point, Franz-Olivier Giesbert et Hervé Gattegno, sont convoqués le 29 mars, tandis qu’Edwy Plenel et Fabrice Arfi, respectivement directeur et journaliste du site Mediapart, seront entendus le 5 avril, comme M. Lhomme. Ils n’échapperont pas à une mise en examen, quand les porteurs d’enveloppes garnies continuent paisiblement leur chemin.
Le Point avait été fin 2008 à l’origine des révélations sur les cadeaux, d’une valeur de près d’un milliard d’euros, consentis par l’héritière de l’Oréal à l’artiste François-Marie Banier.
Sa fille avait porté plainte fin 2007 pour abus de faiblesse, pour dénoncer cette situation. Parmi les différents extraits des enregistrements publiés par l’hebdomadaire en juin 2010 figuraient de nombreuses conversations tendant à démontrer cette influence. Mediapart avait de son côté davantage insisté sur les aspects politiques et économiques de l’affaire. Les voici réunis dans l’opprobre sociale. Mediapart fera valoir qu’il n’a diffusé « que des informations d’intérêt public » sur l’affaire, comme celles ayant abouti au remboursement de fortes sommes au fisc français, celles ayant trait à des conflits d’intérêt concernant des personnalités publiques ou encore révélant des discussions sur le groupe l’Oréal, coté en Bourse.
« Nous n’avons rien publié de ce qui relevait de l’intimité de Mme Bettencourt », a-t-il insisté. Il a rappelé que le juge des référés, suivi par la cour d’appel de Paris, avait, en juillet 2010, estimé qu’empêcher la publication des enregistrements « reviendrait à exercer une censure contraire à l’intérêt public ». Ce qui paraît évident ne l’est plus pour tout le monde, puisqu’une chambre civile de la Cour de cassation a infirmé ces décisions, considérant que la publication des enregistrements n’était pas légitime, et a renvoyé l’affaire à la cour d’appel de Versailles.
Edwy Plenel a relevé qu’en matière de droit de la presse « une jurisprudence constante », y compris européenne, prône le « droit fondamental » des citoyens à l’information, et l’absurdité, c’est que les journalistes auraient facilement pu faire des papiers sans expliquer que les informations provenaient des enregistrements et, en cas de poursuites en diffamation, produire les enregistrements au tribunal sans qu’on puisse rien opposer. Le paradoxe, c’est qu’en authentifiant son information, le journaliste s’est exposé à une sanction judiciaire, alors que rien ne dit que les « coupables enregistrés » soient eux un jour condamnés. Malheur à ceux par qui la vérité arrive ! En fait, encore une fois, tout est une affaire d’interprétation. Lentement, une chape précautionneuse recouvre le système médiatique.
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Médiapart est l’un des rares pôle d’information indépendant. Dommage qu’il ne soit que sur abonnement! Quand à Giesbert, le roi du passage de relai, je ne vais pas pleurer sur son sort…
Il reste que cette histoire a quelque chose de nauséabond, comme un relent de reprise en main des médias. Déjà qu’ils ne sont pas nombreux à vraiment « faire leur métier », se contentant bien souvent d’aboyer avec la meute et de simplifier à outrance la vie politique et économique pour le bon peuple….