Un conseil de dignitaires religieux d’Afghanistan, considéré comme proche du président Hamid Karzaï, a réclamé un procès public des responsables américains de l’incinération des Corans, il y a dix jours, dans une base militaire. Bien évidemment, cette information ne va pas subjuguer les rédactions qui comptent. Elle obligerait à une critique terrible du poids de la croyance religieuse dans un monde irrationnel. D’ailleurs, il suffit de prendre connaissance du texte accompagnant cette demande pour se rendre compte de l’évolution archaïque de notre société. «Le Conseil des oulémas insiste pour dire que cet acte démoniaque ne peut être pardonné sur la base de seules excuses, et que ceux qui ont perpétré ce crime devraient être au plus vite jugés en public et punis», lit-on dans un communiqué de la présidence afghane, qui finance le conseil. En fait, il s’agit d’une prise de position condamnable sur la forme mais acceptable sur le fond.
Celui qui brûle un livre commet en effet un véritable attentat contre la culture. Le Coran, comme tout autre ouvrage mérite le respect, et sous aucun prétexte il ne mérite le feu ou la destruction. A toutes les époques, les « autodafés » ont eu leurs racines dans un déficit culturel considérable. Et toute attaque contre un support hautement symbolique du savoir représente un acte épouvantable. Le 12 juillet 1562, Diego de Landa ordonne un autodafé de l’ensemble des documents en écriture maya. Seuls quatre codex mayas parviennent à réchapper du bûcher sacrificiel… et une civilisation brillante disparaît ! « Là où on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes » a déclaré Heinrich Heine et ce n’est pas pour rien que cet auteur fait référence aux autodafés nazis.
Le premier eut lieu le 10 mai 1933 à Berlin (Opernplatz), et fut suivi par d’autres à Brême, à Dresde, à Francfort-sur-le-Main, à Hanovre, à Munich et à Nuremberg. Furent ainsi condamnés au feu les ouvrages, entre autres, de Bertolt Brecht, d’Alfred Döblin, de Lion Feuchtwanger, de Sigmund Freud, d’Erich Kästner, d’Heinrich Mann, de Karl Marx, de Friedrich Wilhelm Foerster, de Carl von Ossietzky, d’Erich Maria Remarque, de Kurt Tucholsky, de Franz Werfel, d’Arnold Zweig et de Stefan Zweig…La phalange franquiste organisa le 30 avril 1939 un autodafé du même style à l’université centrale de Madrid où furent notamment brûlé des livres de Maxime Gorki, Sabino Arana, Sigmund Freud, Lamartine, Karl Marx, Jean-Jacques Rousseau ou bien encore Voltaire… Le premier empereur de Chine, Qin Shi Huang brûla les écrits confucéens pour asseoir son pouvoir. Pendant la Révolution culturelle, dans les régions musulmanes de l’ouest de la Chine, des Corans furent détruits dans de grands autodafés. Des manuscrits bouddhistes furent également brûlés. Les exemples sont légions avec, pour terminer, des autodafés humains !
Lorsque le livre, quel qu’il soit devient un ennemi pour l’homme, tôt ou tard l’homme devient un loup pour celles et ceux qui défendent le livre. Les soldats américains, pour des raisons obscures ou malheureusement trop limpides, sont entrés dans cette spirale et, bien évidemment, il est assez facile pour des religieux obscurantistes d’exploiter leur comportement tout aussi obscurantiste.
Le scandale des Corans brûlés et ses conséquences sanglantes surviennent en effet au moment où le sentiment antiaméricain atteint son paroxysme en Afghanistan et au pire moment pour la coalition militaire emmenée par les États-Unis qui, face à des opinions publiques occidentales de plus en plus réticentes au maintien de leurs soldats dans le bourbier afghan, a entamé un retrait progressif de ses troupes combattantes, censé s’achever fin 2014. Date à laquelle la force internationale doit finir de confier la sécurité du pays aux forces armées afghanes, dont les experts disent, unanimes, qu’elles s’y préparent trop laborieusement, et sont infiltrées par les talibans.
Le président Barack Obama en personne s’était empressé de présenter ses excuses au «peuple afghan», qualifiant l’incinération des exemplaires du livre saint de l’islam d’acte «inconvenant», tout en plaidant l’«erreur» de jugement due à l’«ignorance». C’est ce dernier terme qu’il faut retenir d’un communiqué officiel. « L’ignorance » des uns ne peut que profiter aux « ignorants » du camp des autres ! Cinq jours de violentes émeutes antiaméricaines et d’attentats avaient fait une trentaine de morts et plus de 200 blessés dans tout le pays et six militaires américains ont péri, depuis, sous les balles de soldats afghans ou de collaborateurs censés être leurs alliés. C’est l’enchaînement normal de tout acte culturellement violent ! Les talibans ont, bien évidemment, oublié qu’ils ont détruit massivement les 55 000 livres rares de la plus vieille fondation Afghane, ainsi que ceux de plusieurs autres bibliothèques publiques et privées… il y a quelques années. Des milliers de bibles ont été incinérées au Soudan, au Pakistan, en Israël, en Iran, en Somalie… et c’est tout autant condamnable et significatif de cette peste qui ravage le monde : l’intolérance religieuse de tous bords !
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Citation de Jacques Brel:
» Dieu ? Ce sont les hommes, mais ils ne le savent pas « .