La privatisation du temps éducatif s'accélère dans l'indifférence

Alors que l’on approche de la trêve de fin d’année, peu de monde sait que la prochaine rentrée scolaire est déjà quasiment bouclée sur le plan statistique. Les calculs sont en cours, afin de savoir combien il faudra de postes d’enseignants dans l’élémentaire et d’heures de professeurs dans les autres niveaux. Le principe est simple : on a donné une boîte à chaussures à chaque département, charge pour les inspecteurs d’académie d’y faire entrer coûte que coûte les besoins. Bien évidemment, le résultat de cette compression, décrétée au niveau de la loi de Finances en cours de discussion, se traduira par des centaines de suppression de postes budgétaires supplémentaires, qui ne se traduiront pas forcément par des suppressions de classes ou par la disparition de profs. En fait, tout se jouera sur la capacité, très réduite pour l’opinion publique, à ne pas se laisser berner par des utilisations habiles de termes administratifs, et sur la différence existant entre « postes » et « classes »… et, avant l’échéance présidentielle, tout sera mis en œuvre pour ne pas clarifier la situation. D’autant que la solidarité n’existe plus dans le milieu enseignant, et que, tant que l‘établissement n’est pas directement touché, les « suppressions » ne mobilisent guère, au prétexte que… c’est encore et toujours « faire de la politique » !
Le Ministre va donc contraindre les services rectoraux et départementaux à taper dans les secteurs réputés annexes de l’enseignement. Déjà, les réseaux d’aide à la scolarité des élèves en difficulté (RASED) sont dans le collimateur. On va poursuivre leur démantèlement, via le tarissement de la formation des psychologues et des rééducateurs, et donc la non affectation de personnels qualifiés sur les…postes vacants. On va encore taper dans les personnels de remplacement, que l’on… remplacera par du bricolage via le Pôle emploi. D’ailleurs dès maintenant, le système tourne lentement dans l’indifférence collective générale. Pas à pas, on se dirige vers la « privatisation » de l’Éducation, car personne, dans la vie sociale, ne s’intéresse véritablement à ce qui ressemble à des épiphénomènes. L’absence alarmante de culture « politique » transparaît dans toutes les instances faussement délibératives des établissements publics. Chacun y vient pour y jouer son rôle. L’administration, jugée sur sa capacité à respecter la confortable obligation de réserve par sa hiérarchie, tente d’expliquer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles avec cette dernière. Comme de toutes les manières, il n’y a jamais autour de la table de représentants de l’Éducation qui fut nationale, on se contente de vœux pieux quand on ne pratique pas l’indifférence totale à l’égard du massacre global en cours. Il reste alors une ouverture : celle du transfert!
Tout le monde se met vite d’accord pour trouver des faits matériels qui permettent aussitôt d’éviter de « faire de la politique » en concentrant ses tirs sur la collectivité locale. Plus de 90 % du temps est dépensé dans les conseils de toutes sortes pour évoquer le périscolaire. La grande mode actuelle, c’est de se pencher longuement sur le financement des sorties scolaires ou des voyages réputés linguistiques, avec des scènes surréalistes consistant à solliciter des entreprises privées pour…financer des déplacements effectués en temps scolaire. On en arrive au système américain où Coca ou MacDo interviennent directement dans le processus éducatif, pour boucher les « trous » ouverts par le renoncement de l’État. Inutile de s’opposer à ces méthodes, car enseignants concernés et parents ravis s’offusquent d’une vision « idéologique » de l’enseignement.
Insidieusement, la République n’assume plus ce qui relève constitutionnellement de sa responsabilité : le temps scolaire ! On oublie chaque jour davantage que c’est à l’État et à lui seul d’assumer un enseignement avec des moyens identiques sur l’ensemble du territoire national (personnel formé, gratuité des matières obligatoires, égalité d’accès de tous aux actes éducatifs…). La privatisation passe désormais par le recours à des financements externes du temps scolaire, qui discrédite inexorablement l’acte d’enseignement et rompt le principe d’égalité, puisque l’on sait bien que d’une école à l’autre, d’un collège ou d’un lycée à l’autre, les différences sociales font que les moyens ne seront pas les mêmes. Et comme les élus locaux sont présents, c’est toujours vers eux que l’on se tourne pour combler les carences de l’État.
Inutile de se battre contre la « privatisation » du système public d’enseignement. Elle progresse chaque jour davantage, par ignorance citoyenne de celles et ceux qui la laissent se développer. En 2013 si Nicolas Sarkozy revient, tout sera prêt pour que les directrices ou directeurs des écoles, les principales ou principaux, les proviseures ou les proviseurs soient considérés comme des « chefs d’entreprises » avec des objectifs chiffrés à atteindre, des moyens à trouver, une autorité totale sur les personnels.
Vous verrez les propositions UMP dans les prochaines semaines qui clameront, pour la énième fois, sur de faux constats déconnectés totalement des évolutions sociales, l’échec de l’éducation nationale (des rapports vont en attester très vite), sur la tarte à la crème de « l’autonomie », sur « l’efficacité » et sur « le libre choix ». Inutile de tenter de sensibiliser l’opinion sur ces sujets : tout est de la faute des collectivités territoriales qui se doivent de répondre positivement à toutes les demandes, sous peine d’être mises publiquement en accusation.
Dans quelques mois, les remplacements « imprévisibles » (sur la base de la loi du service minimum), les modification de programmes (technologies nouvelles, sport, culture, changement de manuels…), les suppressions de postes annexes (secrétariat des directrices et directeurs, surveillance interne…), les activités éducatives annexes (voyages, sorties…), les aménagements du temps scolaire seront totalement à la charge des mairies, des conseils généraux et régionaux. Chatel peut continuer à parader, à mentir, à truquer : il sait que l’indifférence accompagne souvent l’inculture civique et que nous vivons sur des apparences !

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Cet article a 4 commentaires

  1. goupil

    Demain matin, ma fille en master 2 sciences de l’éducation (qui pas été reçue au concours de professeur des écoles dans l’académie de BORDEAUX cet automne), va assurer pendant 2 semaines, le remplacement de l’enseignante de CE1/ CE 2 qui l’a accueillie en stage la semaine dernière.
    De manière volontaire, l’an dernier en master 1, ma fille et une de ses collègues,ont passé 2 semaines en école primaire dans un CP en observation de l’enseignante. C’est le métier qu’elle souhaite exercer.
    Elle a déjà encadré des enfants en centre de loisir depuis plusieurs années.
    Demain, d’autres étudiants en Master 2 vont devoir, sans autre expérience du travail avec des enfants qu’une semaine de stage, aussi pendant 2 semaines remplacer des enseignants dans le contexte précité.
    A l’issue de ces 3 semaines de stage, la note qu’ils obtiendront sera prise en compte pour l’obtention de leur diplôme.
    2 OBSERVATIONS:
    -aprés une semaine d’accueil en situation, sans réelle expérience,ils assurent seuls le remplacement d’un enseignant;
    – sur quels critères qualitatifs et avec quel suivi de leur « prestation » la note sera t elle attribuée? ^

    Certains estiment que la meilleure façon d’apprendre à nager, c’est de sauter à l’eau sans avoir pied.
    Ce doivent être les mêmes qui ont réformé la formation des enseignants!
    Et je suis admiratif de la volonté, de l’énergie et du courage de ces jeunes adultes qui vont éduquer nos enfants, avec lucidité quant à ce qui les attend!

  2. batistin

    Juste une idée, un peu étrange, je m’en excuse, mais voilà l’histoire:
    Nous évoluons (ou stagnons!) dans un système où la réussite de sa vie est basée sur des critères actuellement fort contestés.
    En clair, tout notre mode de fonctionnement est à revoir, c’est une discussion permanente quant au bien fondé de nos aspirations.
    Le progrès et la croissance ne font plus bon ménage, c’est une évidence maintenant.
    Hors, autant que je m’en souvienne, l’école nous formait à être « de bon soldats ».
    Quand est-il aujourd’hui, quand les leçons apprises ne prennent pas en compte les changements à venir.
    Que pouvons nous espérer d’une école qui n’offre comme perspective que la réussite sociale basée sur la concurrence agressive.
    Mon propos est celui-ci: comment un indien d’Amazonie peut avoir pour espoir d’envoyer ses enfants à l’école, sachant que l’école lui donnera les clés nécessaires pour être en mesure d’exploiter un peu plus la forêt. Et faire disparaître sa famille !
    L’école des indiens,celle où l’on apprend à vivre en harmonie, n’est pas à la mode !

    Envoyer nos enfants apprendre à faire fonctionner un système auquel nous ne croyons plus, n’est-ce-pas complètement idiot ?
    Une refonte des programmes scolaires, prenant en compte un autre mode de fonctionnement possible, est-ce un doux rêve ?
    Tant que ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ont la main mise sur la formation des jeunes, pourquoi tenteraient-ils autre chose?
    Au risque de voir leur usines se vider, leurs supermarchés faire faillite, et tous les travailleurs esclaves relever la tête et quitter les usines !

    Pourtant, le savoir et la connaissance sont les seules armes valides pour lutter et prendre en main sa vie. Ne serait-ce que lire et écrire, n’est-ce pas.
    Et compter, jusqu’à mille ça suffit, puisque plus personne d’ici peu de temps ne recevra en récompense de son travail plus que mille euros…
    Mis à part une élite d’enfants éduqués en écoles privées.
    Eduqués pour perpétuer le bon fonctionnement du système qui écrase la majorité.

    Ils nous refusent donc l’école publique, nous voilà donc retournés bien avant Charlemagne, au bon vouloir des princes, des nobliaux de Cour, et du Roi, charge aux moines d’éduquer ceux qui payent.
    Et bien, comme nous ouvrons des AMAP ( associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) pour subvenir à nos besoins de bouche, pourquoi ne pas ouvrir des AMÈS (associations pour le maintien d’une éducation saine) pour éduquer nos enfants d’après des critères correspondant plus à l’avenir que nous leur souhaitons.
    Ce ne sont pas les jeunes diplômés professeurs qui manquent !
    Et, comme pour les Amap, en s’y mettant à plusieurs, on arrive à faire fonctionner l’affaire et à rémunérer le paysan dignement.
    Donc, montons des AMÈS, chacune autour d’un enseignant.
    Après tout, puisque la mode est à l’éducation privée, et que l’école est obligatoire, pourquoi s’en priver ?
    De toutes les façons, la seule école nationale et gratuite qui va rester sera uniquement réservée aux populations destinées à devenir ouvriers esclaves.
    Ma petite idée faisant son chemin, nous aurions bientôt autant d’écoles que de quartiers…
    Est-ce complètement idiot de renoncer au supermarché de l’éducation pour nourrir nos esprits, celui de nos enfants, de choses saines ?

  3. Nadine Bompart

    Bienvenue dans le monde ultra-compétitif du « chacun-pour-soi » et l’argent comme Roi!
    Dans le monde hospitalier, ça fait déjà 15 ans que c’est en marche. Voyez le résultat!!!
    Aux US, après l’hymne américain, les enfants regardent religieusement… des spots de pub!!! On dit merci aux gentils « souteneurs » puis on va en cours! 24% des Américains ont retiré leurs enfants du système scolaire et s’organisent entre eux! Faut dire qu’ils ont l’habitude de se démerder sans l’aide de l’Etat…
    Les AMES de Pierre Rhabbi sont une bonne solution, mais encore faut-il avoir un certain niveau culturel, voire politique (dans le vrai sens, celui de la « vie de la Cité »), pour organiser cela. Et du temps aussi…! Bref, les milieux populaires seront encore les laissés-pour-compte, enfermés dans leurs ZEP, sans d’autres choix que l’esclavage ou la zone! Encore du pain béni pour les pouvoirs en place, entre main-d’oeuvre immigrée à bon marché et flambée de violence des banlieues qui font tant flipper le bourgeois….
    À quand la Révolution et le pouvoir au Peuple ?????

  4. J.J.

    Monsieur Chatel, de part sa profession, expert en cosmétique est le spécialiste rêvé pour cette mascarade.
    A quand une classe sponsorisée par l' »Oréal » ?
    Une classe qui le va

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