Lorsque l’on examinera objectivement la vie politique de la dernière moitié du XXème siècle, il sera aisé de constater que jusqu’à la fracture du 21 avril 2002, la France a vécu sur l’élan de la IVème République. Le Général de Gaulle avait une stature personnelle qui lui a permis de tenter de modifier les rapports entre les Françaises et les Français et leur pouvoir central, mais l’ensemble des partis n’a jamais véritablement réalisé sa mue. Ils auraient pu le faire s’ils avaient accepté de revoir leurs rapports à la vie publique et réellement inventé une autre forme de vie sociale. Il y a bien eu la période de « l’autogestion », mais elle a été emportée par le tsunami de la pseudo réalité économique, imposée par la seule loi du marché. Rien de révolutionnaire n’a été proposé, car le carcan européen ne laisse plus aucune marge de manœuvre à la modification fondamentale des repères politiques. Le système est verrouillé. On a donc eu un curseur politicien qui a tourné autour du radical-socialisme des années 50, depuis des décennies, sauf qu’en 2002 la recette, usée, a été rejetée par dépit par des millions d’électrices et d’électeurs. Tous les présidents de la République de Droite, Pompidou, Giscard, Chirac, avaient des références proches de celles des grands radicaux issus des scrutins, liant le RPF, le MRP, la SFIO… et de ce marais idéologique adaptable aux circonstances sociales. Mitterrand en était un pur produit. Ce n’est que durant quelques semaines, en 1968, que ce consensus a volé en éclats, avant d’être lentement remis en ordre par des négociations utiles au pouvoir collectif dominant. Et aucun d’eux n’a aimé cet épisode !
Depuis quelques heures, la France s’étonne que Jacques Chirac ait, avec « humour corrézien » pour les uns, par « malice » pour les autres, par « inconscience » pour ses ennemis, par « vengeance » pour ses amis… lâché ce que l’on a vite présenté comme un choix politique en faveur de François Hollande. C’est oublier que l’ex-Président de la République n’a été qu’un Gaulliste circonstanciel, mais fondamentalement un « radical » à l’ancienne, avec ce que cela comporte comme arrangements, compromissions, complots, assassinats entre amis et surtout voyages permanents d’un côté ou de l’autre des barrières réputées infranchissables entre les fumeuses appellations de « centre droit » et de « centre gauche ».
Chirac aurait, sous la quatrième République, fait une carrière dans ces gouvernements qui n’avaient d’autres préoccupations que celle d’exister… le plus longtemps possible, en ménageant la chèvre rose et le choux bleu horizon. Il est devenu Gaulliste comme ces joueurs de football qui choisissent un maillot de club avec l’assurance que, quoiqu’ils fassent, ils seront titulaires.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’ex-candidat ait déserté le camp sarkoziste. Ce dernier, aux mains des idéologues de l’ombre du Club de l’Horloge, n’a plus aucun rapport avec cette vision de la politique des années 1950 à 2002. Il est idéologiquement porteur des principes de la Droite qui avait été muselée par les épisodes des grandes guerres et par les affreuses déviances fascistes. Si on fait une analyse objective des objectifs globaux de la politique actuelle, on constate que l’UMP n’est devenue qu’un outil manipulé par des « penseurs » extérieurs, basés à l’Elysée, ou tournant autour des occupants de l’Elysée.
Au cœur de toutes les réformes, plus ou moins ouvertement ultra libérales, on trouve la soumission outrancière du pouvoir politique au pouvoir économique. Pas une seule mesure du gouvernement ne repose sur une autre réalité, ce qui commence à singulièrement inquiéter des élus de Droite, qui se rendent compte (sans l’avouer) qu’ils ne sont que les Guignols, jouant un scénario écrit hors de leur parti. Le sarkozisme consiste simplement, en s’appuyant sur les ukases économiques européens, à « privatiser » le pays de manière progressive, alors qu’en Grèce, au Portugal, en Irlande, la manière brutale est beaucoup plus visible. La Grande Bretagne de Margaret Tatcher a montré la voie… et rien n’a véritablement été rétabli par les gouvernements « radicaux travaillistes » qui se sont succédés, car les dégâts sont irréparables. C’est ce que les Françaises et les Français ne comprennent pas… car la gouvernance d’un pays ressemble étrangement à la direction d’un super tanker pétrolier, qui devrait manœuvrer dans un chenal balisé par d’autres. La mondialisation, le Traité européen, le poids des marchés financiers, constituent des barrières théoriques désormais infranchissables, dont s’accommode le « radicalisme » à la Française.
Ce que Jacques Chirac a volontairement lâché devant des caméras venait de ses racines politiques, de ce qu’il ressent véritablement, de ce qui vient de son propre parcours. Bien entendu, des analyses politiques seront faites de ces paroles et on ira même, dans les prochains jours, jusqu’à affirmer qu’il a besoin de repos ( de Villepin dixit), sous-entendre qu’il n’a plus toute sa raison (allusions déjà faites), expliquer qu’il ne représente plus rien (c’est parti !), qu’il a fait de l’humour au second degré mal compris (facile !), qu’il boirait trop de Corona, alors qu’il est tout simplement « imprégné » par les réalités d’une époque, celle du radicalisme français soucieux de gommer toutes les exagérations calamiteuses pour le Pays. Croire que c’est un enfant de chœur vieillissant, égaré au pays des Bisounours, relèverait de la faute politique.
Il a été vite rappelé à l’ordre par l’Elysée, car il a des ficelles qui le relient toujours à des casseroles… encombrantes. « Maman » Chirac va encore le secouer, et lui rappeler qu’elle a toujours été de Droite, et que son avis en la matière est beaucoup plus radical !
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« Chirac aurait, sous la quatrième République, fait une carrière dans ces gouvernements qui n’avaient d’autres préoccupations que celle d’exister… le plus longtemps possible, en ménageant la chèvre rose et le choux bleu horizon. »
Ah bon, ce n’est pas ce qu’il a réalisé de 1959 (affectation au Ministère de l’Agriculture) à 2002 : Mener sa barque dans les méandres de la Vème république ?
Sa biographie est pourtant conséquente, à travers les nombreux gouvernements côtoyés.
Et n’oublions pas qu’il a milité dans la mouvance communiste, peu après 1950…alors en vieillissant, c’est presque un juste retour des choses pour Jacques le Sage !
Tu dis « La mondialisation, le Traité européen, le poids des marchés financiers, constituent des barrières théoriques désormais infranchissables, dont s’accommode le « radicalisme » à la Française. » Dont s’accomodent Chirac … et Hollande ?
Et pourquoi « infranchissables »? Parce que les dirigeants « socialistes » ne veulent surtout pas les franchir? C’est bien là le problème, cet accord, ce consensus entre tous les partis institutionnels sur la mise en oeuvre de Maastricht et la réduction des déficits publics. Ce consensus est à l’œuvre en Grèce, en Espagne, au Portugal où des « gouvernements socialistes » imposent les politiques meurtrières anti-ouvrières dictées par l’Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI). Il l’est aussi sur d’autres continents.
D’où viennent-ils, ces déficits publics ? Ils ne tombent pas du ciel. Pour tenter de sauver un système capitaliste en faillite, engagé dans la plus terrible offensive pour écraser le coût du travail, les gouvernements ont renfloué les banquiers à coups de centaines de milliards d’euros. Ils exonèrent les capitalistes d’impôts et de cotisations sociales. Et ensuite, ils utilisent le prétexte des « déficits » créés par eux pour prendre les mesures d’exploitation de la classe ouvrière et de la jeunesse. Ils utilisent pour cela un « argument » à leurs yeux décisif : l’obligation de ramener à 3 % (et demain à 0 %) du produit intérieur brut (PIB) les déficits publics, obligation inscrite dans le traité de Maastricht. Et c’est cette obligation qu’ils voudraient inscrire maintenant dans la Constitution ! Hôpitaux, écoles, services publics… nous trinquons.
Où est la clé: la rupture avec l’Union européenne et la Vème République. Quel gouvernement en aura la volonté?