C’est fait : la mise en œuvre de la fameuse réforme territoriale est lancée. L’intercommunalité en France prend un tournant décisif avec la présentation, par les préfets, au cours de cette seconde quinzaine d’avril, des schémas de coopération intercommunale (SDCI). Depuis maintenant de longs mois, j’ai personnellement multiplié les interventions publiques, d’abord sur l’évolution de la construction d’une loi qui préfigurait, non pas la rationalisation de la vie locale, mais plus certainement une véritable recentralisation des pouvoirs locaux. Quel que soit le bout par lequel on prend cette marche forcée vers les « fusions absorptions », on détecte une volonté farouche de se payer de l’élu local. En fait le système français, qui délaye la responsabilité de gestion politique, ne convient plus du tout aux adeptes de la rationalisation « économique ». Cette loi se révèlera finalement comme la meilleure illustration possible d’une mutation profonde de la démocratie, avec la complicité passive des citoyennes et des citoyens qui sont absorbés au delà de toute mesure par les apparences de la vie sociale et jamais par ses fondements. Les schémas, dans tous les départements, traduisent simplement cette lassitude des administrations restructurées d’avoir à se contenter de traiter des dossiers sur le plan juridique alors qu’elles estiment avoir les compétences pour les traiter beaucoup mieux que des élus plus ou moins « capables » de le faire ! Dans quelques années, l’État voudra se prononcer sur l’opportunité des décisions qui relèvent du politique, au nom de ratios économiques, comme c’est le cas dans tous les systèmes libéraux !
Même secondés par des fonctionnaires territoriaux de qualité, les élus locaux subissent une érosion lente de leur crédibilité et la gouvernance actuelle en porte une grande responsabilité. C’est vrai qu’il y a eu des déviances assez retentissantes de la démocratie, avec des suites médiatico-judiciaires réelles pour les intéressés. En revanche, il est bien difficile de dire que toutes les « affaires » liées au fonctionnement de l’État ont été suivies d’effets réels. La Cour des Comptes peut avoir la « peau » d’un élu local alors que l’on constate chaque jour qu’elle n’a que très rarement généré des mises en cause des responsables de désastres de gestion, quand on se trouve au plus haut niveau de l’État.
Ce ne sont souvent que des insinuations, des sous-entendus, mais l’objectif reste identique : un professeur, un ouvrier, un cadre, un médecin, un retraité… ne peut pas prétendre être un gestionnaire correct puisqu’il fait de la politique alors qu’il devrait se contenter de respecter des ratios permettant à l’État de le maîtriser. En fait, c’est la négation pure et simple de la responsabilité de représentation, déléguée par des électrices et des électeurs. Historiquement, la Révolution française avait admis le principe que des citoyens, avec leurs défauts et leurs qualités, avaient les capacités de faire vivre le quotidien de leurs mandants, alors qu’antérieurement, les charges gestionnaires s’achetaient comme un bien héréditaire. Un virage s’opère depuis quelques semaines avec une arrière pensée : les nécessités économiques mondiales nécessitent que la France applique à sa gestion territoriale les critères réputés efficaces du libéralisme. Ainsi, on parle avec insistance de critères qui ressemblent étrangement à ceux que les grandes multinationales appliquent, avec les résultats brillants que l’on connaît. Il est étrange, en effet, de comparer les discours absolument similaires.
Par exemple tous les Préfets qui deviennent de plus en plus des « gouverneurs » placent dans leurs discours sur la réforme territoriale, la notion « d’économie d’échelle », pour justifier des suppressions de ces « succursales » que sont dans leur esprit des communes, syndicats, ou communautés de petite taille. En fait, quand on fouille objectivement, on constate qu’il n’y aura aucune économie réelle et que les services de l’Etat sont bien incapables de chiffrer objectivement combien économisera le passage d’un conseil communautaire unique regroupant 130 délégués, par rapport à trois conseils communautaires séparés, du même nombre d’élus bénévoles pour 90 % d’entre eux !
La réalité, on la retrouve dans une autre phrase, « vous devrez réduire le personnel »… car c’est là le but réel de cette manipulation de l’opinion. Réduire le personnel, c’est inexorablement réduire les services publics, et surtout ouvrir des espaces plus vastes à la privatisation ! Il sera beaucoup plus intéressant, pour les grands opérateurs en matière d’eau et d’assainissement, de récupérer un syndicat de distribution d’eau potable de centaines de milliers d’abonnés que de se battre pour des entités de quelques milliers. Devenues ingérables par des élus, ces créations, totalement déconnectées des réalités territoriales, seront donc confiées dans quelques années, par d’inévitables partenariats « public-privé », aux opérateurs capitalistes… Inutile de se voiler la face, c’est l’objectif : dégraisser au maximum la France « publique », pour engraisser la France « économique ».
Ce transfert, inspiré par les théories « thatchériennes » ou simplement « bushistes », va s’accentuer et être mené à marche forcée avant l’élection présidentielle, car après… sait-on jamais, il pourrait être remis en cause par la gauche. Privatisation du secteur de la petite enfance (voir les crèches bordelaises), privatisation de l’éducation par affaiblissement délibéré du système public, privatisation de tous les secteurs essentiels comme l’eau, l’environnement (déchets), l’énergie, la santé (secteur de la dépendance ou de l’aide à domicile). En fait, la réforme en cours se pare des habits flamboyants de l’efficacité, alors qu’elle ne vise qu’à détruire le principe même de la démocratie locale, à construire des usines à gaz dangereuses, à déconnecter les liens forts existant entre les élus de terrain, conscients de leurs responsabilités, par la stérilisation des choix politiques par l’étouffement des moyens financiers mis à leur disposition, sous prétexte que le redressement économique l’exige !
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Tous ceux qui ont des contacts professionnels ou privés avec les collectivités et qui posent un regard dénué de parti pris sur les éléments de la « grande réforme » proposée par le prefet,(malheureusement sur la base d’une loi votée par les élus de la république…) ne peuvent qu’être en accord avec cette vision d’une véritable récentralisation de la société aux dépends des citoyens.
Faut-il y voir une espèce de retour de baton face à certains excès de la prise de pouvoir parfois constatée de petits « lobbys citoyens » qui arrivent à créer de véritables bloquages ? Peut-être… Il n’en demeure pas moins que je soutiens résolument celles et ceux, de tous bords, qui lutteront contre cette pseudo évolution…