Quand un invité surprise passait à la maison en fin de mois, dans la ferme, on allait puiser sous la graisse blanche, dans les « carottes » en grès roux, le confit de porc gardé en réserve ou alors, en un tour de main, au printemps, la maîtresse des lieux cassait une douzaine d’œufs pour faire une omelette. C’était, inutile de le nier, le plat du pauvre contraint de nourrir une tablée dépassant ses moyens du moment. A l’improviste ou avec préméditation, la cuisinière contournait ses difficultés financières ou matérielles en transformant les œufs « individuels » en plat collectif se prêtant à l’invention. Croire en effet que l’omelette relève de la simplicité absolue et de la décontraction totale serait ignorer absolument tout des talents culinaires.
Il faut certainement autant de savoir faire pour préparer un plat d’œufs mayonnaise ou au mimosa que pour mettre sur la table une omelette parfaite. La réussite dépend dans un cas comme dans l’autre de multiples détails qui échappent à toute personne étrangère à la qualité des mets les plus simples. Demandez donc à un grand chef de vous préparer des mets aussi basiques, et vous verrez qu’il hésitera, car souvent, il s’arrange pour noyer son tour de main dans des artifices d’odeurs, de saveurs et de couleurs qui dénotent une volonté de remplacer l’essentiel par du superflu !
L’omelette nécessite un doigté particulier et des choix très précis. D’abord, celui des œufs. Tout le monde sait que la texture, la couleur et surtout le parfum, dépendront de cette matière première devenue malheureusement très standardisée. Par exemple, dans un poulailler de ferme d’antan, on avait des poules dites « cou nu ». Certes elles ne correspondaient pas aux canons de la beauté des animaux de basse-cour, mais leur production était de loin la meilleure de toutes. On mettait les œufs récoltés dans leur lieu habituel de ponte, à part, car on savait que s’ils étaient rares, ils étaient fort prisés, et donc réservés aux enfants ou aux personnes âgées… ou pour une omelette. Les « cous nus » sont devenues extrêmement rares et on ne les trouve que dans les « conservatoires » ou dans les enclos de quelques nostalgiques des véritables gallinacés du bon vieux temps. Certains se contentent de repérer des œufs fermiers dont le jaune, de fabrication garantie avec granulés, ne tourne pas de l’œil en virant au jaunâtre quand il cuit. A Créon, les meilleurs sont ceux de Madame Camus, une dame merveilleuse qui a distribué le lait frais à la coopérative dans ma jeunesse. Ses poules ne vivent que d’air pur, de vermisseaux et de grains de maïs qui ne sauraient être transgéniques, pour la bonne et simple raison que c’est de l’auto production ! Si vous n’avez pas la chance de pouvoir acquérir des œufs aussi joufflus et authentiques, contentez vous de repérer ceux qui sont au moins potentiellement « fermiers » et frais.
Il est alors important de tous les casser avec soin dans une assiette calotte, et pas dans un récipient très profond, après avoir choisi le thème de votre omelette, en sachant que tout ajout est possible mais que la seule véritable réussite peut se juger sur un produit final dénué de tout autre ingrédient que des œufs… Il est vrai que le risque est grand et que souvent, dans les fermes pauvres, on économisait la récolte du poulailler en ajoutant un talon de jambon, quelques petites patates puisées dans la marmite rebondie posée sur un trépied dans la cheminée, dont le contenu était dévolu aux cochons, et que tout « reste » pouvait être adjoint au produit de base ! L’omelette a été à la France ce que la pizza était à l’Italie du Sud ! En fait, on se met en danger quand on tente l’omelette originelle, car il n’y a aucun moyen de rattraper ses erreurs ! La première serait d’attendre d’avoir battu les œufs pour assaisonner le résultat, alors que c’est au départ qu’il est conseillé de répartir sel, poivre et éventuellement quelques fines herbes comme des brins de ciboulette fraîche. Mais toute la réussite du projet repose sur la manière dont on va ensuite agir. Tout se joue sur l’art et la manière de battre les œufs…
L’aide d’une fourchette assez lourde est vivement recommandée. Elle sera maniée avec seulement le poignet, en partant bien du fond de l’assiette avec un mouvement assez vif, mais l’erreur serait de faire un mélange prolongé. Allez rapidement à une allure soutenue mais durant un laps de temps assez court. Les vrais cuisinières se contentaient de ces deux instruments : l’assiette calotte et la fourchette, avant de laisser reposer quelques minutes leur résultat. Il ne faut surtout pas verser immédiatement les œufs battus dans la poêle, qui doit être assez large pour bien doser la cuisson. Pas de beurre fondu ou je ne sais quel ersatz, mais il suffit de graisser avec un tampon imbibé d’huile le récipient qui ne doit surtout pas être trop chaud. Posez la poêle sur le feu le plus large de la cuisinière (autrefois ma grand-mère paternelle la posait sur le trépied au dessus des braises de la cheminée, rassemblées harmonieusement) pour que la température soit aussi homogène que possible et ainsi éviter les différences entre les bordures et le centre. Ne rien rajouter comme assaisonnement, car c’est trop tard.
Le temps de cuisson demande ensuite une appréciation personnelle liée à la manière dont on l’aime : baveuse, moelleuse ou sèche (et oui, ça existe). Bien évidemment, tout ce qui serait ajouté dans l’omelette (patates, piperade, jambon, lard fumé, épinards…) aura été cuit auparavant de manière séparée et ajouté quelques instants après que le fond ait pris. Si vous pouvez, la servir avec les feuilles tendres d’une laitue de votre jardin ou d’un autre que vous connaissez.
Figurez vous que je suis allé aujourd’hui au rendez-vous traditionnel de l’omelette pascale géante du village de Haux avec ses 5211 œufs… Une tradition qui se maintient, mais qui s’ essouffle car, pour diverses raisons, les générations n’aiment plus ce qui est une « brouillade » gigantesque. Les enfants la boudent. Il suffisait pour s’en convaincre de constater que dans cette fête populaire, il restait une bonne centaine d’assiettes au centre de la poêle, alors que des dizaines de personnes faisaient impatiemment la queue pour recevoir leur dose de frites congelées précuites et passées dans l’huile collective…pour brunir un peu. Chaque année, l’écart se creuse. A vous de juger !
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Il ne manque plus que le parfum subtil de cette cuisson de l’omelette ! Pourquoi ne pas prendre rendez-vous avec Télé Canal Créonnais pour ce cours magistral de cuisine du terroir ?
Merci, je note quelques trucs pour ma prochaine omelette.
Tu es trop modeste… Je pense que ça vaut inscription au patrimoine mondial de l’humanité!
En cette saison il est un ingrédient que l’on peut ajouter avec bonheur au « produit de base » : dans la réserve d’oignons, quelques bulbes, excités par l’arrivée du printemps commencent à produire de longues pousses blanches, jaunes ou vertes, ce que nous appelons des « gîtes ».
Ces pousses coupées et ajoutées à l’omelette de base lui donnent un goût incomparable.
Et si en sus vous pouvez y ajouter quelques brins de cerfeuil frais cueillis….
Mais les variations sur l’omelette sont infinies : fines asperges vertes, brins d' »aillet », oseille, pissenlits au goût de noisette, que sais-je ?