Intervention devant les 300 participants à la journée technique nationale du Club des Villes et Territoires cyclables à l’Hôtel de ville de Paris, sur le thème « Quelle place pour le velo? »
La Rencontre de Paris est, chaque année au printemps, un moment privilégié d’échanges des élus et des techniciens autour des problématiques techniques et d’actualité.
C’est une difficulté d’ailleurs que de définir le thème de cette Rencontre annuelle : il faut varier les sujets, tout en revenant régulièrement aux basiques, aux fondamentaux d’une politique vélo. Parce que les acteurs changent, se renouvellent, qu’il s’agisse des élus ou des collaborateurs, et qu’il est nécessaire d’organiser des rendez-vous comme celui-ci pour permettre l’échange et le retour d’expériences.
Il n’y a pas de risque, par ailleurs, que le Club – et d’autres – épuisent des sujets comme le stationnement des vélos (le thème de la Rencontre 2010), le vélo et les modes doux dans le périurbain, l’intermodalité… Sur ces thématiques, nous avons encore du travail pour les 10 ans qui viennent ! Voire au-delà… Notre petite entreprise ne connaît pas la crise….
Cette année, nous avons choisi d’aborder des problématiques techniques tout en prenant un peu de recul. En nous interrogeant sur la façon dont le vélo trouve peu à peu sa place.
Ou plutôt comme le vélo conquiert sa place tant sur la voirie, que dans les têtes.
Nous avons le sentiment qu’il a progressé plus vite, ces dernières années, dans les têtes que dans les pratiques. Ce décalage est normal, même s’il est souvent souligné par les sceptiques ou les opposants. Le passage à l’acte est plus délicat que l’adhésion, que le sentiment qu’on est arrivé aux limitex d’un « modèle », le tout automobile et le culte de la voiture solo, qui est de plus en plus partagé.
Le passage du dire au faire est aussi souvent délicat, chez les décideurs et chez les aménageurs. La traduction d’une volonté politique, de l’engagement d’encourager les modes actifs, dans les faits peut s’évaluer, non pas avec de seuls critères quantitatifs – en mesurant le linéaire d’itinéraires cyclables par exemple – mais en repérant si le vélo, mais aussi la marche, sont pris en compte dans les outils et les démarches pour passer d’une ville routière à une ville fluide, à une ville pour tous.
Posons-nous quelques questions :
Le retour progressif du vélo dans nos paysages urbains, interurbains et ruraux se traduit-il dans les choix de planification urbaine, dans les politiques foncières, dans l’aménagement de l’espace public et le partage de la voirie, dans la conception des lieux de vie ?
A-t-on le réflexe vélo ? Pense-t-on vélo et marche chaque fois qu’il est question de projet urbain ? Chaque fois qu’il s’agit de rénover, de réhabiliter, de recoudre le tissu urbain ? J’en doute un peu… C’est pourtant bien l’enjeu. On ne peut s’étonner de constater que la circulation à vélo a été oubliée si à aucun moment de l’élaboration d’un projet, on n’a pensé au cycliste !
De même, la planification urbaine ne peut pas tout… Mais elle ne sera d’aucun impact si on oublie les modes actifs dès l’élaboration des documents d’urbanisme.
Les SCOT Grenelle ont-ils tous le réflexe vélo ? Vélo et marche ? La mobilité durable est-elle toujours intégrée aux démarches de planification urbaine ?
Les pôles d’échanges prennent-ils en compte les modes alternatifs à la voiture en leur offrant l’espace, les accès, les facilités, les services qu’ils requièrent ? Sans oublier, au passage, le stationnement longue durée du vélo, le confort des correspondances et des rabattements à pied… ?
La problématique du stationnement intègre-t-elle tous les stationnements ? Et non seulement celui de cette chère voiture – dans tous les sens du terme – encore très présente dans les têtes des projeteurs et volontairement ou involontairement traitée en priorité ?
Vous le voyez, notre entrée est foisonnante et je peux vous mettre en garde : nous n’aurons pas l’occasion, en une seule journée, d’aborder tous les aspects de cette question de la place du vélo. Celle qui lui est faite et celle qu’il doit être en capacité de prendre.
Mais je vous invite à l’avoir à l’esprit en permanence ! Et pas seulement aujourd’hui. Elle doit guider vos démarches, vos choix, vos projets.
Elle doit vous inviter à vous demander chaque fois : ai-je pris en compte le cycliste dans tous ses « états ». Avec ses besoins spécifiques ? N’ai-je pas oublié le piéton et comment va-t-il évoluer dans ces espaces ? Comment cyclistes et piétons vont-ils cohabiter, ensemble et avec les autres usagers ?
C’est déjà un effort de la part des gestionnaires de voirie et des aménageurs. Alors, il faut être conscient que c’est un exercice non naturel chez les autres : mêmes chez les urbanistes, les architectes, les entreprises, les bailleurs, encore plus chez les commerçants…
C’est pourquoi, agir pour que le vélo trouve sa place implique aussi, et peut-être surtout, d’aller rendre visite aux autres professionnels, aux autres acteurs de la ville. Non pas de prêcher chez soi, mais de se confronter à d’autres cultures professionnelles auprès desquelles il est au moins aussi important d’exporter nos bonnes pratiques, nos réflexions, nos propositions…
Le développement du vélo, et de la mobilité alternative à la voiture, ne se fera pas contre mais avec. Avec le plus grand nombre de catégories de Français, y compris ceux qui ne peuvent imaginer aujourd’hui que le vélo est déjà le service à la mobilité le plus adapté à leurs besoins. A leur porte-monnaie, à leur qualité de vie, à leur santé…
Il est acquis que le vélo n’est pas affaire de militant, de posture, de mode, mais que c’est un instrument rapide, économe, simple, individuel pour se déplacer et pour se promener. C’est finalement assez récent, car en France, on prêtait beaucoup d’arrière-pensées à ses promoteurs, il y a encore peu de temps.
Merci Vélo’v, Vélib qui ont balayé tout ceci et contribué à imposer l’idée du mode gagnant ! Du mode actif, pas du mode doux, souvent compris comme gentil et mou.
Il est temps de nous saisir de toutes les opportunités – la bonne image du vélo en est une ! –, de tous les outils – ceux de la planification urbaine et la palette des aménagements – , et de tous les publics.
Nos amis britanniques l’ont compris, qui encouragent le développement du vélo à tous les niveaux, avec des politiques nationales et locales, malgré des options très libérales. Nous sommes loin d’en faire autant dans notre pays, qui tarde à se doter d’un Plan national vélo dont toutes les modalités sont pourtant prêtes à l’emploi, grâce au travail d’Hubert Peigné, Coordonnateur interministériel vélo que nous remercions.
C’est avec lui justement que nous avons le plaisir d’accueillir, pendant deux jours, une délégation de parlementaires et acteurs du vélo et de la mobilité durable du Royaume Uni. Ils nous rejoindront tout à l’heure, à l’occasion du déjeuner, avant de rencontrer les responsables parisiens et l’association Mieux se déplacer à bicyclette. Nous les retrouverons ensuite, et demain matin, à l’Assemblée nationale.
Qu’attendons-nous pour les imiter ? Pour voler comme eux au secours du succès ? Par exemple en encourageant les employeurs à mettre leurs salariés à vélo comme ils le font depuis un peu plus de dix ans, dans le cadre d’un programme très réussi « Cycle to work ». La recette est simple : une exonération fiscale pour les entreprises qui mettent des vélos à la disposition de leur personnel. Résultat ? Plus de 4000 personnes participent au programme. Près de 700 fabricants et détaillants et la bagatelle de 15 000 employeurs ! Et de proche en proche, cela gagne du terrain, chacun satisfait (à 98 % !!) recommandant le vélo à ses proches, parents, amis, collègues…
L’industrie du vélo applaudit ! Seul le CO2 fait mauvaise mine : il est en baisse.
Qu’attend-on ?
A vrai dire, nous n’attendons pas. Nous poussons ces solutions, mais Bercy n’est pas le ministère le plus facile d’accès… à vélo.
Il reste beaucoup de chemin pour convaincre, en France, nos dirigeants qu’il y a niche fiscale et niche fiscale. Qu’elles sont bien différentes au regard des bénéfices pour l’individu et la collectivité. Qu’il y a des dynamiques vertueuses qui, certes, ont besoin d’un petit coup de pouce au départ. Fût-il dans sa traduction à court terme, un tout petit manque à gagner pour l’Etat…
Il faut donc porter le vélo ailleurs que là où il attendu. Que là où il est déjà entendu. Au Club des villes et territoires cyclables, fort du bon millier de collectivités et de l’arrivée importante des Régions de France dans nos rangs, nous ne désarmons pas. Et forts des arguments de nos amis britanniques, nous irons encore frapper à la porte de Bercy, rencontrer les chefs d’entreprises, travailler avec les acteurs de la rénovation urbaine, comme nous y invite Hubert Peigné avec l’ANRU, dialoguer avec les sceptiques, repérer les signaux faibles, montrer les signes forts d’une évolution inexorable….
L’enjeu est aujourd’hui d’aller plus vite et plus loin dans l’offre de solutions alternatives à la voiture. Il faut leur faire de la place dans les têtes, les décisions et les rues.
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