Cantonales : de la porosité au confinement

Les cantonales en Gironde sont terminées depuis quelques minutes. Il faut toujours comparer les résultats aux objectifs que s’étaient fixé les responsables politiques, engageant leur responsabilité dans la bataille. Pour Alain Juppé, cette semaine, il y avait deux grands combats à mener : l’élimination de Mouammar Kadhafi et l’élimination de Michèle Delaunay. La seconde aura été au moins aussi coriace que le premier, et les moyens déployés dans les deux cas auront eu les mêmes effets. Agacé par les questions impertinentes d’un journaliste de France Bleu Gironde, le Ministre des Affaires Étrangères à Bordeaux a quitté le téléphone, en envoyant bouler ce questionneur n’ayant aucun respect pour son rang. Sur son ton amer contenu, visiblement agacé, il transformait le maintien de… cinq conseillers généraux de droite, dans un hémicycle de 63 sièges, en victoire aussi décisive que celle obtenue sur d’autres fronts. C’est devenu une habitude, de transformer des défaites aussi minimes soient-elles en victoires virtuelles et c’est, dans le fond, le côté dramatique de ces soirées électorales, tellement différentes suivant qu’elles sont vécues sur le terrain, ou bien devant la télévision. Il y a bel et bien deux réalités, celle vue des plateaux faussement ensoleillés des télés et celle constatée dans les permanences des candidats. La sincérité s’évanouit en remontant vers les sommets et Raymond Domenech le spécialiste des « défaites positives » a fait école. Il y a du Jean Tigana chez Alain Juppé, sauf que malgré une énième défaite en Gironde, il n’envisage pas démissionner.
On ne soulignera jamais assez la similitude entre les commentaires faits après un échec des Bleus en Afrique du Sud et ceux des entraîneurs UMP après les cantonales. « On a certes perdu, mais je ne suis pas déçu parce que l’on a bien joué » : on connaît le discours stéréotypé qui veut qu’il y avait des tannées plus glorieuses que les autres. Et parfois, les commentaires relèvent du sketch de Coluche « la bagarre », quand sous les coups qui pleuvent, le « roule des mécaniques » préfère accuser sa femme d’avoir aguiché le client velléitaire. En fait, c’est le meilleur commentaire possible. L’UMP a en effet passé son temps, ces dernières semaines, sur ordre du chef de l’État français, à aguicher l’électorat du Front National, ayant soit des racines idéologiques fortes, soit seulement une volonté de manifester son désespoir. En fait, l’UMP a testé la théorie politique de la porosité électorale. C’est la véritable analyse de ce scrutin : en rendant les idées du FN présentables, on peut permettre un passage de l’électorat d’un parti à l’autre ! Cette fois, sur un scrutin considéré par le chef de l’État sans importance, il a vérifié que 60 % des électrices et des électeurs ayant voté pour lui pouvaient rallier les idées du FN. C’est palpable en Gironde, sur tous les cantons où les candidats FN ont bénéficié de transfusion de voix venant des candidats UMP… Ce n’est pas une interprétation, mais simplement un calcul mathématique relevant de l’addition du cours élémentaire.
Cette porosité entre les deux électorats serait, selon les stratèges ayant monté cette opération, un outil qui pourrait jouer lors du second tour… des présidentielles, puisque si elle fonctionne dans un sens elle peut fonctionner dans l’autre ! Il suffirait alors que Nicolas Sarkozy (ou le candidat UMP s’il se dégonflait) arrive en seconde position avec un zeste d’avance sur Mme Le Pen, pour faire appel à ce retour sur investissement dans la proximité des idées. L’UMP a pris des gnons partout, titube, trébuche, s’écroule, mais accepte volontiers cette raclée, en tentant de la minimiser puisqu’il s’agit d’un…investissement dans l’avenir ! Exactement le sketch de Coluche dont le personnage la ramène, menace mais encaisse les coups sans rien dire avant…d’accuser les autres d’être responsables de sa lâcheté !
Dans les prochains jours, les porte-voix de l’Elysée au sein du gouvernement (avez-vous remarqué le silence de Fillon ce soir ?) vont accentuer le « transfert » idéologique en allant, non pas siphonner les voix du FN car elle en possède une bonne part, mais simplement renforcer l’idée d’un va et vient possible entre les candidats des partis. C’est bel et bien la dernière chance du candidat Sarkozy de vaincre en 2012. Il lui en reste une autre, qui ressort de ce scrutin, mais elle ne dépend pas de son choix, mais de celui des Socialistes. Quand ils sont allés au combat avec un programme concret, reposant sur des valeurs claires, comme ce fut le cas en Gironde, ils ont eu bien du mal à sortir les gens de leur ignorance citoyenne dangereuse. Ils n’ont pas pu, malgré des campagnes de terrain concrètes, une volonté collective solidaire, retrouver l’électorat qui devrait être le leur. A la base, ils en tireront vite les enseignements, mais nationalement, ils ne semblent pas décidés à sortir de leurs querelles internes.
Les élections se gagnent en allant convaincre les déçus de la Gauche et pas en débattant entre « camarades » de sujets purement internes. La mutation n’est pas en route, d’autant qu’apparaît la trouille « verte », celle qui consiste à tenter de céder à cette pression extérieure voulant que faire une politique de gauche, ce serait être incapable de prendre la mesure des enjeux écologiques !
La porosité organisée d’une part, le confinement organisé de l’autre. Les cantonales ont circonstanciellement démontré qu’en organisant l’Union du PS d’abord, puis l’Union de la Gauche ensuite, François Mitterrand avait eu un sens politique qui n’avait pas pris une ride. Il est urgent d’abandonner cette idée saugrenue, consistant à organiser des primaires qui transformeront une fois encore un enjeu idéologique en enjeu de belle gueule ! Mais bien évidemment, ça ne se dit pas sur les plateaux télé, car ce serait… favoriser l’abstention.

Cet article a 4 commentaires

  1. danye

    FORMIDABLE TOUJOURS ton commentaire Jean Marie !! QUELLE LUCIDITÉ DANS TES PROPOS.

    Les citoyens je pense ONT TROUVE la solution .
    Pour contrer ces votes <arrangés , fabriqués ;Ils ne se déplacent pas ..le devoir est transformé en rejet devant tous les mensonges , fausses promesses.Ne parlons pas des radios et
    télévisions … C'est un carnage de les entendre répondre .Tout le monde est gagnant CE SOIR ..Nous sommes pris vraiment pour des <affaire à suivre ………………

  2. baillet gilles

    Bonjour,
    ne pouvant répondre à votre billet d’hier, je réponds dans celui d’aujourd’hui. Les salariés français ont réagi contre la rigueur cet automne lors d’un mouvement social de deux mois avec des manifestations d’une ampleur considérable. Cela n’a pas suffit: il fallait une grève générale pour paralyser totalement le pays… ça c’est sûr. Du coup, les conflits sociaux se localisent mais ne se généralisent pas… encore. On est dans une période d’entre deux mais les évènements pourrraient s’enchaîner.
    Cordialement

  3. BUGARET Yvon

    Tu as raison Jean-Marie, après cette nouvelle défaite électorale des Sarkozistes, depuis l’élection de 2007, il est tant que la Gauche se ressaisisse pour créer une dynamique victorieuse en 2012, car ce n’est pas encore gagné !
    Il est évident qu’on n’a pas besoin de primaires, réel danger, de voir voter tout le monde et n’importe qui, et de voir apparaître querelles internes assassines et divisions ravageuses.
    Le meilleur candidat capable de rassembler le plus large possible, le peuple de gauche, est déjà connu des dernières enquêtes d’opinion. Soyons prudents de ne pas se laisser déborder par les responsables écologistes toujours aussi incertains dans leur stratégie. Il ne faut pas oublier que certains ont fait campagne pour la suppression des départements, folie inacceptable.
    Comme tu le dis, Jean-Marie, il est bon de rappeler la démarche gagnante de François Mitterrand qui devrait nous servir d’exemple.

  4. autre rochelais

    félicitation pour votre analyse, comme vous j’ai écouté l’arrogance d’alain juppé sur France bleu gironde, incapable comme toujours de désigner par son nom Michèle delaunay réduite  » à la députée et conseilère régionale sortante ». Autre message aussi lancé par les écologistes devant g savary avec monsieur Chausset : peut etre serait il temps que qui vous savez laisse la place au conseil général et que cela soit vous ou le conseiller de talence ferait un très bon président.
    a bientot pour de nouveau combat

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