Exclusivement de la poudre aux yeux fiscale

L’iniquité du système fiscal français sans cesse amendé reste un point faible de la République, qui devrait garantir justement la participation juste des citoyens-contribuables à la vie collective. En fait, la complexité technique des décisions a fini par tuer les principes fondateurs attachés à ce que la Révolution avait voulu : mettre un terme à la notion de privilège ! Depuis maintenant de longues années, le pouvoir économique ayant imposé sa loi, le politique a baissé pavillon et base toute son action sur, justement, la baisse des impôts, jugée comme indispensable à une croissance que l’on pense toujours salvatrice. Dans une journée, par l’opération du Saint-Esprit élyséen, on tente de colmater les brèches béantes faites dans l’équilibre social, avec des décisions ressemblant à une succession de rodomontades destinées à épater la galerie des copains. Le gouvernement bosse donc, toutes affaires cessantes, sur le sort des malheureux, contraints à mendier des indulgences de Bercy pour être exonérés de l’Impôt sur la fortune. La fin du bouclier fiscal est désormais actée… Mais qu’adviendra-t-il de l’Impôt Sur la Fortune (ISF)? Pour l’heure, Bercy étudie deux scénarios, dans le but de proposer une réforme en avril, pour une adoption par le Parlement au cours de l’été.
Première piste présentée par le ministre du Budget François Baroin, lors d’un colloque sur la fiscalité du patrimoine, au ministère de l’Economie et des Finances : la suppression pure et simple de l’ISF ! Tout ira mieux pour l’opinion dominante, qui y verra un acte de justice fiscale du même niveau que la suppression de la taxe professionnelle sur les grandes entreprises. On transférera simplement le manque à gagner sur les plus grands profits, pour le refiler aux ménages, avec une augmentation des taxes à la consommation, les plus efficaces car indolores, car ignorées des gens auxquels on les… impose !
L’ISF, si l’on en croit le « ballon d’essai » gouvernemental, serait alors remplacé par l’IRF (impôt sur les revenus de la fortune) qui taxerait « les flux » de patrimoine et non plus le « stock ». « Le nouveau régime consiste à taxer au taux unique de 19%, non plus la richesse elle-même, comme actuellement avec l’ISF, mais l’enrichissement », a expliqué François Baroin. Une initiative qui suppose une surveillance accrue des revenus déclarés, et un suivi particulier des mouvements de fonds, alors que l’on sait parfaitement que les fonctionnaires pouvant réaliser ces contrôles existent de moins en moins.
Seconde piste à l’étude : le remodelage de l’ISF actuel en modifiant le barème. Il serait ainsi ramené à deux taux d’imposition du patrimoine, à 0,25% et 0,5%, après en avoir supprimé la première tranche, qui taxe les patrimoines à partir de 790.000 euros. A l’heure actuelle, les taux d’imposition vont de 0,55% à 1,80%. Quelle que soit l’option envisagée, la réforme devra être neutre pour le budget, dans un contexte de réductions des déficits. Elle ne devra pas non plus peser sur les contribuables qui ne sont pas aujourd’hui soumis à l’ISF, a insisté le gouvernement. On se demande bien l’intérêt de cette mesure, si ce n’est celle de vendre de la poudre aux yeux à une opinion qui se laisse endormir par des effets d’annonce. La cour des comptes est beaucoup plus pragmatique et directe.
Dans un rapport remis au Chef de l’Etat français, elle l’appelle à « corriger rapidement » les divergences fiscales entre la France et l’Allemagne, et lance quelques pistes, comme la hausse du taux réduit de la TVA, étendu en 2009 à la restauration… de manière purement électoraliste. Suppression du bouclier fiscal…, suppression probable, de l’ISF « stock »…, suppression de la TVA réduite…, il ne reste plus qu’à supprimer les exonérations sur les heures supplémentaires et on aura la plus tragique pantalonnade de l’histoire de la république !
La réforme de la fiscalité du patrimoine conduite par le gouvernement, au nom de la convergence fiscale avec l,’Allemagne, laisse en effet la Cour des comptes de marbre, alors que le chef de l’Etat y voyait un moyen d’amortir les distorsions de compétitivité entre les deux économies. Ce n’est donc bel et bien qu’une manipulation pure et simple de l’opinion publique, sans impact réel sur l’équité fiscale. Sur ce point, « la comparaison avec l’Allemagne n’apporte (…) aucun éclairage décisif », assène la Cour, et elle se contente de cette phrase assassine en conclusion du rapport : « préserver a minima les recettes (fiscales) existantes ».

Les sages sont nettement plus exigeants sur la taxe à la valeur ajoutée et le large recours fait par la France à son taux réduit (5,5% contre sept pour cent en Allemagne). Son extension aux travaux de rénovation de l’habitat ou à la restauration n’était « pas à proprement parler une mesure de justice fiscale », a précisé, non sans humour, le Président de la Cour, puisque le simple alignement du taux réduit français sur le taux allemand ferait rentrer 15 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat. Mais comment l’expliquer, quand on ne cesse de clamer que les impôts ne doivent pas augmenter, et qu’à moins d’un an des présidentielles on va mécontenter des « corporations » relais d’opinion ? Même chose quand la Cour des comptes insiste sur « la nécessaire remise en cause des niches sociales et fiscales », sa bête noire, jugeant leur « efficacité économique et sociale insuffisante ». Quelle évaluation a réellement été faite des exonérationS diverses, non pas en terme de perte de recettes, mais en efficacité économique ou sociale ?
En fait, le gouvernement va d’échec en échec, dans ce domaine comme dans bien d’autres. Dans six mois il ne restera plus rien des supposées réformes destinées à relancer la compétitivité économique, alors qu’elles ne reposent que sur un postulat simple : l’exonération de charges solidaires constitue le seul levier pour sauver le pays. Elle sont effacées par la réalité du système libéral qui ne connaît que le « toujours plus de profits », jamais par le dynamisme de sa gestion, de son innovation, de sa commercialisation, mais par le renoncement de l’Etat à faire vivre la solidarité due à toute société organisée. La « marge » doit sans cesse reposer sur « exonération », « dégrèvement », « inégalité », « exception « , « régime particulier »… Et c’est le gouffre garanti !

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Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    Je suis très naÏf et ignorant (je ne sors pas de l’ENA)car je ne vois pas l’interêt d’aligner la France sur l’Allemagne en ce qui concerne la fiscalité. Il faut comparer ce qui est comparable.

    Je me demande également depuis longtemps : quand rejoue-ton la Nuit du 4 Août ?
    Il serait temps d’y penser.

  2. Annie PIETRI

    Elève à l’école Nationale des impôts dans les années 60, puis enseignante dans le même établissement quelques années plus tard, j’y ai toujours appris, puis enseigné, que les taxes, et en particulier la TVA constituaient le prélèvement fiscal le plus injuste qu’on puisse imaginer, puisque frappant à peu près exclusivement les consommateurs, qui n’ont aucun moyen d’y échapper. Et il est facile de comprendre que plus une famille a de bouches à nourrir, plus elle va acquitter de taxes, même si elle n’a les moyens que d’acheter de la nourriture….J’ai appris, aussi, que l’impôt sur le revenu, tel qu’il était conçu alors, avait une fonction redistributive, et était seul capable d’assurer la solidarité entre les citoyens. Mais depuis, chaque nouveau ministre des finances a voulu apporter sa réforme, dans le sens le plus favorable aux intérêts qu’il représentait…. Et on en est arrivé à un maquis de textes, plus complexes les uns que les autres, devenus inapplicables tant ils sont multiples et sophistiqués….
    Alors, les quelques fonctionnaires des finances qui subsistent après les réductions drastiques d’effectifs qui ont été appliquées, là comme ailleurs, ne peuvent que déplorer de ne plus être en mesure d’exercer les contrôles qui permettaient, au moins, de lutter contre la fraude. Et ceux et celles qui, comme moi, essayaient d’exercer leur métier en mettant toujours en application les principes d’équité et de justice qui leur avaient été enseignés, ceux la sont bien heureux d’être retraités et plaignent sincèrement ceux qui leur ont succédé pour accomplir ces tâches!!!

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