Personne n’arrivera à me persuader (même pas mes amis qui occupent des postes importants dans l’administration de la République) que la haute administration française a accepté les lois de décentralisation. Grâce au retour, dans la durée, de la droite libérale au pouvoir, on a assisté à une reconquête généralisée du pouvoir par celles et ceux qui symbolisent la « science du pouvoir ». Ils ont profité de la volonté affirmée des représentants de cet ordre nouveau, qui consiste à détruire la patiente construction de la décentralisation, pour imposer, via des réformes, leur main mise sur les fondements de la démocratie. Certes ils se cachent derrière les décisions supposées politiques, mais à aucun moment ils ne savent dissimuler leur omniprésence. Chaque texte est désormais frappé du sceau de ces techniciens, qui méprisent les élus locaux, et les qualifient souvent, à l’instar de leurs mentors, de « gaspilleurs », de « mégalos », ou d’inconscients ». Eux savent « gérer », et se posent en garants de l’application des décisions forcément réputées républicaines, puisque votées confusément par le Parlement, et ensuite tripatouillées par des rédacteurs de décrets, de circulaires, de normes et de règlements. Il est vrai que sans cette diarrhée textuelle, ils ne pourraient pas souvent affirmer leur « supériorité » sur les représentants du peuple qui leur déplaisent souverainement. Eux savent… l’instituteur du village ne sait rien, en vertu du principe qu’il n’a pas appris comment régir le quotidien des gens par des contraintes plus ou moins applicables.
Tout est fait par la droite pour se faire des alliés subjectifs dans les différents corps d’Etat, et c’est pour cette raison que la réaction des juges ou des diplomates a fortement déplu à l’Elysée, et plus encore chez tous leurs collègues n’ayant pas la case « éthique professionnelle » très propre ! Comme les seules gratifications que connaisse le clan du profit, c’est celle de l’argent, on a donc étendu au maximum le système des primes, qui permet de forcer la discrétion et le respect ! Ces distributions aléatoires reflètent l’espoir de se concilier les bonnes grâces, ou au minimum le silence prudent, des cadres de la nation. Ensuite, s’il n’y a pas de « spoils system » à l’Américaine, le système des nominations permet de bordurer celles et ceux qui pourraient avoir des positions suspectes. Nicolas Sarkozy a bien donné la tonalité en virant de manière ostentatoire ou discrète, pour des broutilles, des Préfets, des commissaires et des juges. Enfin, le Chef de l’Etat français a largement démontré son dédain pour le suffrage universel, dans la première partie de son mandat, en constituant, face au gouvernement de ses « collaborateurs », un shadow cabinet », strictement constitué de professionnels non responsables de leurs décisions à l’égard du peuple, et surtout non exposé au jugement médiatique.
Cette mutation se traduit par des déséquilibres patents. Henri Guaino, conseiller du Chanoine de Latran sur la laïcité, peut aller, sans être inquiété, en vacances en Libye, alors que MAM, représentant des élus va trinquer pour son déplacement chez Ben Ali. Le sculptural ambassadeur sans poils mais quasiment à poil, peut insulter la presse sans être mis au ban de la fonction publique, alors que le moindre accroc d’un élu de Gauche est stigmatisé par l’UMP. Mieux, le Président de la République a donné un signe fort à ses sbires de la haute administration, en destituant le catastrophique Brice d’Hortefeux, pour installer au poste stratégique de l’Etat, le plus digne fleuron de l’administration française, Claude Guéant ! Une manière de donner à espérer à tous les énarques, et plus encore de démontrer en fait une indifférence profonde à l’égard des principes républicains, voulant qu’il faille obtenir le soutien du suffrage universel pour exercer une fonction engageant la position des autres, justement face aux électrices et aux électeurs. Claude Guéant est de retour à la maison mère où il va faire « de la politique technicienne » pour sécuriser le système sarkoziste. Face aux députés, il a bel et bien démontré que sa capacité à admettre le débat, à ne pas avoir une position partisane, à prendre en compte le jeu démocratique, n’entraient pas dans sa culture sociale. Attendu au tournant par nombre de députés, y compris de l’UMP, l’ancien secrétaire général de l’Elysée a subi un baptême du feu mouvementé dans l’hémicycle de l’Assemblée. Le nouveau ministre de l’Intérieur a été interpellé, par l’UMP Eric Ciotti, sur la question de l’immigration. Tourné ostensiblement vers les rangs de la droite, Claude Guéant a répondu que « la recherche de liberté qui se manifeste au sud de la Méditerranée crée à la France deux responsabilités »: « accompagner ces peuples vers une vie réellement démocratique » mais « aussi ne pas subir une immigration non contrôlée ». « La loi de la République sera appliquée avec fermeté: les personnes qui se présenteront en France en situation irrégulière seront refoulées », a-t-il poursuivi, le ton neutre, malgré les huées dans les rangs de la gauche. Le mépris, vous dis-je ! le mépris… celui qui sous-tend de plus en plus les rapports entre les élus de base et les administrations. Il paraît que même dans les couloirs, des députés UMP commentaient sévèrement ce comportement.
Refus de répondre ici aux courriers des parlementaires d’opposition, communication coupable de données ou de documents aux seuls élus UMP, attaques sur l’opportunité des dépenses et de moins en moins sur la légalité des dépenses, appui discret à des candidats en période électorale, intrusions permanentes dans le champ politicien, réponses dilatoires sur des sujets pourtant concrets, préparation du charcutage territorial sur des bases électorales : le panel des comportements s’allonge de jour en jour. Et les élus courbent l’échine… persuadés que c’est le meilleur moyen de ne pas avoir d’ennuis. Ils attendent que le ciel leur tombe sur la tête.
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Michel Rocard alors secrétaire du PSU déclare lors du congrès de son parti à Dijon en 1969: « la décentralistaion c’e sont les contre-pouvoir décentralisés ». Force est de constater que ça n’a jamais été le cas et que les lois de 1983 n’ont fait que renforcer le pourvoir des notables. La crise économique accompagnée des politiques libérales de démembrement de l’Etat social ont amplifié la renaissance féodale actuelle que légalise la mauvaise décentralisation sans contre-pouvoir…Il n’y a pas eu de rapprochement entre le lieu de décision et le citoyen, à moins que le clientèlisme soit ce fameux rapprochement…
Cordialement
Je ne suis pas d’accord, la décentralisation « Deferre » a apporté un énorme bol d’air à nos communes leur permettant souvent grâce à l’aide du Conseil Général de réaliser d’importants investissements alors qu’avant il fallait l’autorisation de Monsieur le Préfet avec une subvention qu’on attendait parfois 15 ans.
Cependant la haute administration n’a jamais admis cette perte de tutelle et peu à peu, souvent à travers l’intercommunalité, elle a réussi à détricoter les lois Deferre et reprendre sa tutelle comme en ce moment où les Préfets pourront faire tout ce qu’ils voudront.
Pour moi, le seul moyen d’en sortir c’est la désobéissance.