Enseignants, juges…même réquisitoire et même discrédit

Dans le contexte actuel où chaque fait divers est exploité ou même surexploité, les juges ont une position professionnelle particulièrement délicate. Leur métier, que l’on souhaite, au niveau de l’UMP, mettre sous tutelle via des jurys populaires, devient aussi instable que celui des enseignants. Au cœur des difficultés sociales, ils doivent démontrer leur capacité à « soigner » les pires maux que le système provoque. Ils deviennent responsables et même coupables de la dégénérescence des mœurs, de la disparition de la citoyenneté, et doivent accepter d’être interpellés sur les échecs qu’on leur impute, en n’importe quelle circonstance.

L’obligation de résultat a envahi les esprits, et elle s’impose dans un monde de l’évaluation quantitative, mais jamais qualitative, car cette dernière dépend des moyens offerts pour atteindre des objectifs purement théoriques. Un élève qui redouble devient inacceptable. Un délinquant qui récidive provoque une remise en cause du peu qui a été fait pour le réinsérer. Dans le fond, on frappe toujours sur la tête de celle ou de celui qui agit au nom de la nécessité de réussir, sans que l’on mette en parallèle les moyens qu’on lui a donnés.
En fait, on a inventé depuis maintenant quelques décennies l’affaiblissement des métiers sociaux, en laissant accroire que l’on devait les contrôler ou, plus facilement, que l’on pouvait les remplacer. Les parents des élèves confondent ainsi animation et éducation et ont, lentement mais sûrement, détruit l’image du monde enseignant. Les gouvernements de droite ont accentué ce phénomène avec dans les dernières années une catastrophe liée à la disparition de la formation spécifique antérieure.
En définitive, bien des pères ou des mères (surtout des mères) pensent qu’ils feraient aussi bien que n’importe quelle professeure des écoles maternelles, car elles confondent « gardiennage » et « pédagogie », puisque véritablement personne ne leur explique la différence. Dans les conseils, qu’ils soient d’école ou d’administration, l’acte éducatif occupe peu du temps dans les discussions, comme s’il était devenu accessoire, pour être remplacé par le confort global. Rares sont les prises de position militantes, dans ces instances, sur la responsabilité politique en matière d’éducation, alors que les attaques sont incessantes sur les collectivités territoriales qui n’ont (pour l’instant) aucun pouvoir dans ce domaine. Il faut dire que les enseignants actuels, accablés par des conditions de travail désastreuses (effectifs, manque de crédits, réformes permanentes, dureté de la fonction…) sont enclins à déplacer vers le contenant les défauts du contenu !
La très grande majorité d’entre eux est au bout du rouleau psychologiquement, et semble résignée à subir, en raison d’un sentiment confus ne plus être reconnue, de ne pas être suivie et surtout d’être en permanence accusée de mal faire… son métier ! Le gouvernement Sarkozy-Fillon a systématiquement isolé les enseignants du service public par des accusations réitérées de mauvais résultats, d’erreurs manifestes, de refus d’évolution et plus encore en arrivant à persuader l’opinion qu’une école avec moins d’enseignants serait une école plus… efficace, alors qu’un enfant, selon son origine sociale, a besoin de mille fois plus d’attentions, de soutiens, de suivis que celui que peut lui offrir une enseignant qui n’est ni psychologue, ni rééducateur, ni infirmier, ni médecin, ni médiateur de justice, ni conseiller conjugal, ni éducateur de rues. Cassés, démoralisés, oubliés, ils n’attendent plus rien d’une République qui les a contraint à être en permanence obligés de justifier leur capacité à exercer leur métier.
Les juges viennent de découvrir que c’était leur tour, pour flatter l’opinion dominante. Ils se croyaient à l’abri de cette démolition organisée d’une « profession ». Mal leur en a pris, car le sarkozisme consiste à stigmatiser, à partir d’un seul événement, une catégorie sociale ou un groupe particulier. Il les livre en pâture à une société marquée par un moment défavorable ou émotionnellement propice. C’est une forme de jeu de billard, qui permet de faire exploser les oppositions en les parcellisant les unes après les autres.
Les juges ont découvert à leurs dépens la méthode déjà appliquée aux enseignants. Dans le fond, le « Peuple » (démagogie absolue dans les deux cas) peut avantageusement les remplacer et s’il ne le peut pas, il peut certainement les « contrôler ». D’ailleurs, comme ils ne répondent pas à cette notion poujadiste « d’obligation de résultat » on va leur coller dans les tribunaux d’instance des « citoyens » qui leur montreront comment appliquer la loi. Il n’y a pourtant pas plus d’erreurs judiciaires notoires que de comportements douteux au sein du gouvernement (il serait intéressant de dresser un tableau des rapports entre les ministres actuels et le système judiciaire). Là encore, on laisse accroire que juge, ce n’est pas un « métier » au sens noble de ce mot, mais un simple job, accessible à une personne, aussi respectable soit-elle sur le plan moral, mais qui, à la limite, ne saurait ni lire, ni écrire (j’en connais encore qui peuvent être tirés au sort comme jurés d’assisses)… Mettre la pression « médiatique » sur les juges, c’est les affaiblir dans l’opinion, c’est tenter de masquer leur dépendance hiérarchique à l’égard du politique, pour certains d’entre eux, c’est discréditer un corps républicain, fondateur de l’Etat, c’est faire oublier l’incapacité gouvernementale à résoudre l’absence de moyens.
L’éducation détruite moralement. La justice en chantier de démolition morale. Les piliers de la démocratie chancèlent, et Montesquieu est oublié depuis belle lurette, d’ailleurs il n’est pas certain que celles et ceux qui gouvernent aient véritablement envie de se souvenir de ses préceptes. D’ailleurs, quels sont ceux qui connaissent cet avertissement du châtelain de Labrède : « Le plus grand mal que fait un ministre n’est pas de ruiner son peuple, il y en a un autre mille fois plus dangereux : c’est le mauvais exemple qu’il donne ». Rappelez moi le score prévu pour Marine Le Pen ?

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Cet article a 2 commentaires

  1. Canellas Claude

    Un petit rappel de la loi à l’usage de nos gouvernants…..
    Article 434-25 du Code pénal
    Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.
    Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision.

  2. J.J.

    Et si l’on appliquait les principes d’obligation de résultat et de retour sur investissement, cher aux princes qui nous gouvernent, combien parmi eux tireraient leur épingle du jeu ?

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