Les élus sont de moins en moins au paradis

Oh ! Oui, je sais, il arrive toujours un moment dans une vie où on se pose les vraies questions existentielles, celles qui vous permettent de disserter sur votre sort durant des nuits blanches passées à broyer des idées noires. Il arrive aussi qu’elles débouchent au carrefour des rencontres. Ce matin, après la réunion du Syndicat intercommunal chargé de l’élaboration du schéma de cohérence territoriale (SCOT) de l’agglomération bordelaise, il y avait un apéritif dînatoire entre les élus présents et le personnel. Quelques minutes où, autour d’un verre de Bordeaux avec des amuse-gueules, on peut échanger sans se soucier outre mesure des convenances ou des blocages. Il y avait là des élus de toutes tendances qui grignotaient.
D’habitude, nous nous ignorons ostensiblement, passant notre chemin pour éviter de se dire des choses désagréables, et avec la peur d’être « tondus » pour collaboration avec l’ennemi. C’est pourtant plus fort que moi : je ne vis que pour le débat, l’échange, la confrontation libre. Je suis toujours heureux quand je peux confronter mes idées à celles des autres, dans le respect mutuel, mais surtout sans la pression de ces obligations, voulant que d’un camp à l’autre on soit obligé de ferrailler, alors que… souvent, on est d’accord sur l’essentiel.
La politique ressemble trop, beaucoup trop (et de plus en plus) à la commedia dell’arte, dans laquelle chacun joue un rôle outrancier sans forcément être dupe du scénario. En sortir permet de se détacher des contingences permanentes, qui font le nez dans le guidon ! C’est rare et c’est bref, mais quand ça arrive, on en retire un brin de fierté ou de soulagement.
Au moment de puiser sur les plateaux du buffet, nous avons ainsi entamé, UMP, Verts, PS.. une conversation sur un thème qui me préoccupe, alors que tout le monde s’en moque comme de son premier vote : quelle est la place des élus dans la vie sociale ? C’est devenu une question obsédante pour moi, mais elle ne passionne que moi… car il me semble que peu d’élus s’en préoccupent. Là, par le hasard de « l’abreuvoir », j’ai pu durant un laps de temps très court échanger sur le thème avec des gens que je ne croise que dans un cadre figé.
Je suis en effet persuadé qu’il faudrait, au niveau d’une instance non partisane, organiser un colloque de sciences politiques sur cette « place » en pleine évolution. Rien à voir avec ce que fut celle qu’avaient les élus d’il y a seulement une vingtaine d’années. Obtenir d’abord la confiance d’un électorat, quel qu’il soit, ne repose plus sur les mêmes principes qu’antérieurement. Les campagnes ne sont plus les mêmes, car il devient problématique de s’adresser massivement au gens que l’on doit convaincre. Tous les élus présents effectuaient le même constat : les réunions de quartiers, aussi démocratiques soient-elles, tournent vite en rond. « Certaines fois, je sais à l’avance qui je vais rencontrer dans une telle rencontre » expliquait un élu UMP dont je tairai le nom pour éviter d’être exécuté en place publique. « Et mieux, en regardant la salle je sais quelle question va me poser un tel ou un tel, car elle ne varie pas d’une année sur l’autre ». L’élu est devenu une sorte de punching-ball occasionnel, qui permet surtout de défouler son acrimonie ciblée sur un centre d’intérêt personnel. Aucune question sur les orientations politiques de son action. Désormais, ce n’est surtout pas « pourquoi ? » ou « Comment ? » qui préoccupe les présents mais plutôt « quand ? » et « où ? ». L’élu ne doit jamais justifier ce qu’il a fait, mais plus normalement expliciter ce qu’il n’a pas fait… comme s’il était possible de tout réaliser. Il est considéré, une fois élu, comme un exécuteur docile des volontés personnelles de ceux qui l’ont soutenu…ou plus couramment comme un ennemi, dès qu’il refuse un quelconque avantage réclamé avec insistance. « Je ne peux pas rester à votre repas, expliquait une dame adhérente de l’UMP, car si le Maire le sait, il ne me mettra pas mes terrains en zone constructible ». Une remarque qui en dit long sur ce que l’on attend d’un élu, quel que soit son appartenance politique. Dans toutes les équipes municipales, on trouve ces personnes qui ont rejoint le groupe pour régler une querelle personnelle avec le maire sortant, ou pour espérer un profit de leur présence autour de la table du Conseil. Certes, c’est aussi vieux que la République, mais c’est de plus en plus flagrant dans les querelles internes aux listes ayant gagné une élection. « Une élue est arrivée le lundi après l’élection à la Mairie pour demander où était sa voiture de fonction… » raconte l’un des participants au débat. « Un maire est arrivé chez le percepteur pour réclamer un carnet de chèques pour la Mairie », ajoute un autre.
L’élu sans aucune pratique sociale (syndicale, associative de gestion, mutualiste…) représente désormais la majorité des listes. « Les pires, m’avouait un adepte des « verres de contact », sont les gens dits de la société civile que l’on va chercher, et qui croient tout savoir de la vie collective sous prétexte qu’ils dirigent, sans aucun contre pouvoir réel, une entreprise, ou qu’ils font fructifier leur activité libérale. Ils arrivent en terrain conquis puisqu’on est allé les supplier de venir ! » l’élu militant, pétri de pratiques sociales, habitué au débat contradictoire, apte à résister à une délégation ou une salle, prêt à défendre les motifs ou les objectifs politiques d’une action se raréfie. C’est aussi le paradoxe d’une société qui demande des élus parfaits, aptes à répondre à des exigences de plus en plus nombreuses, mais qui les élimine dès qu’ils ont un brin d’expérience, car leur longévité dans l’action publique devient suspecte. Il est vrai que si dans le monde du travail, les « seniors » ne comptent plus guère…dans la vie publique, on ne les regrette que quand ils sont partis !
Les élus n’ont même plus la « légitimité » du suffrage universel, contesté par le monde supposé associatif. « Personne ne reconnaît plus le caractère primordial de la confiance majoritaire obtenue des électrices et des électeurs. Le soir du résultat, l’élu est respectable. Le lendemain, n’importe quelle structure plus ou moins réelle revendique, au nom de la supposée pertinence supérieure de ses rares adhérents, le droit de mettre à mal une décision …prise dans l’intérêt général » Cette appréciation ajoutée à la fin de la décentralisation place tous les élus en situation critique face à des micros-lobbies s’appuyant sur les médias avides de confrontations . « Je crois sincèrement que les vocations chez les maires, quand les générations d’après guerre vont passer la main, deviendront rares » concluait un autre des convives. A méditer !

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Cet article a 4 commentaires

  1. Ménière Jean-Marie

    Lu, bien vu, tout y est dit avec talent, criant de vérité, toujours optimiste.
    Un joli billet d’humeur adressé à la grandeur et aux servitudes des élus.
    JMM 84 Pertuis.

  2. Ménière Jean-Marie

    Bien lire « grandeur relative » mais « servitudes réelles » des élus.
    Faut pas réver : on est encore sur terre.
    JMM 84 Pertuis.

  3. Alain.e

    Juste analyse d’ une situation qui ne fera qu’empirer.
    En effet, qui voudra devenir maire quand on sait que pour un oui ou pour un non, on risque une mise en examen.
    Je pense au maire de Bassussary envoyé en correctionelle pour avoir fait curer un ruisseau par exemple.
    il faut également une disponibilité permanente qui affecte forcement votre vie privée.
    Sans compter l’image déplorable que véhiculent certains hommes politiques et qui ne donne pas forcement envie d’ assumer cette fonction.

  4. Christian Coulais

    Une fois de plus une flèche au coeur de la cible !

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