Ecrire un livre repose souvent sur une envie qui peut parfois être narcissique. En me lançant dans « Jour de rentrée (1) », je ne voulais absolument pas me lancer dans une œuvre autobiographique qui laisserait supposer de ma part un orgueil déplacé. Malheureusement, j’ai sûrement manqué ma cible, si j’en crois les rares articles de presse publiés après la parution de cet ouvrage, car les « critiques » (qui seront certainement plus loquaces pour le nouveau livre de Poivre d’Arvor dont on découvre… l’originalité, ou celui d’Alain Juppé qui est lui, un écrivain professionnel) n’ont jamais vu dans ce modeste bouquin une manière de s’indigner. Je ne supporte pas que, dans une République, on puisse mépriser à ce point les enfants et la jeunesse. C’est véritablement le drame, totalement passé sous silence en 2010, car pas suffisamment médiatique pour intéresser les téléspectatrices de chez Pernaud, les plus intéressants pour les annonceurs, car ce sont de véritables gobe conneries plantés dans le terreau de l’indifférence.
A la rentrée scolaire, la société bien pensante ne s’est pas émue du fait que l’on envoyait, face à des élèves tellement exigeants, des « non-enseignants », non formés… Elle a admis l’inadmissible, alors que rares seraient les personnes qui admettraient de confier leur automobile à un mécanicien n’ayant jamais été formé, ou qui ferait examiner leur progéniture par un médecin diplômé mais sans jamais avoir rencontré un malade.
Dans « Jour de rentrée », j’ai tenté d’expliquer qu’avant ce moment émouvant où l’on entre dans une classe, c’était plus d’une décennie de préparation (d’abord à l’insu de mon plein gré) qui avait été nécessaire pour que cette rencontre soit bien vécue.
Le cours complémentaire, puis le collège, l’Ecole normale, les hussards croisés sur les chemins de la vie scolaire, les étages de l’ascenseur social… rien n’était innocent, de telle manière que nous puissions redonner à l’école de la République ce qu’elle nous avait donné ! Tout a été saccagé, détruit, méprisé, oublié et même, désormais, souvent dénigré. A cette rentrée, on a envoyé dans les conditions les plus pitoyables, dans un contexte rarement aussi difficile, des gens n’ayant reçu aucune formation professionnelle. On ne mesurera les conséquences pour l’enseignement public que dans 7 ou 8 ans, quand on stigmatisera dans les médias ce que l’on appelle… l’échec scolaire, qui n’est en fait que l’échec des gens ayant en charge le secteur scolaire. « Jour de rentrée » c’est ma manière de dénoncer ce que vient de révéler un rapport officiel édulcoré de cette éducation n’ayant plus rien de nationale.
Les professeurs de collèges et lycées débutants rencontrent des « difficultés » depuis la rentrée, selon un rapport de la direction des ressources humaines (DGRH) du ministère de l’Education nationale, publié par le site internet Le Café pédagogique. Quelle ineptie de prétendre que c’est une révélation. C’est tout simplement un euphémisme, car en fait il s’agit d’une « catastrophe » sociale, masquée par des pseudos constats, tirés d’enquêtes statistiques dont on sait bien qu’elles ne reflètent que des bribes de la vérité. Ils montrent en revanche qu’en primaire, « le bilan du dispositif de prise en charge » des stagiaires (débutants) s’avère « globalement positif ». En fait, il faut traduire : les dégâts sont moins visibles que dans les autres niveaux et on ne les verra que plus tard !
Avec la mise en place à la rentrée de la réforme de la formation des enseignants, les 8.604 professeurs débutants du second degré ont, pour la première fois, quasiment tous commencé à plein temps devant leurs élèves, l’année en alternance en Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) ayant été supprimée. C’est pourtant l’indifférence, car pour les parents « consommateurs », l’essentiel c’est que leur enfant soit dans l’établissement de leur choix et en sécurité, pour le reste, ils ne se tracassent pas trop. « Il ressort que ceux-ci commencent à connaître, en octobre, un état de fatigue. Il leur semble difficile de concilier, dans l’urgence, l’organisation de leurs classes (préparation des cours, gestion de la classe) et leur formation. Les stagiaires estiment manquer de méthodes et du recul nécessaire pour effectuer leur travail et l’apprentissage de leur futur métier », ajoute le rapport. Mais personne n’a évalué les conséquences de cette situation sur ceux qui sont essentiels : les élèves ! Facile pourtant : « ils sont nuls, ne savent rien et ne sont guère motivés », surtout quand on sait que 18% des stagiaires ont un poste dans un établissement relevant de l’éducation prioritaire (élèves en difficultés).
Ces « enseignants » sombrent très vite, mais l’essentiel reste que le ratio des suppressions de postes soit respecté ! Remarquez que le nombre baisse spontanément puisque début novembre, le rapport dénombrait 65 démissions (dont 15 dues à d’autres « opportunités professionnelles »), contre 48 l’année dernière chez les professeurs de collèges et lycées… et en ce début 2011, d’autres ont suivi.
Pour les professeurs des écoles (7.159), le bilan est « globalement positif », juge le rapport. La réforme laissait cette année les débutants aux côtés d’un instituteur expérimenté, avant de les placer devant une classe entière après les vacances de la Toussaint, donc après la date de l’enquête. Pour cette catégorie, il y aurait eu seulement 12 démissions en septembre-octobre, contre 44 l’année précédente. On est sauvé !
Interrogée, la directrice générale des ressources humaines, Josette Théophile, a assuré que les « jeunes identifiés en difficulté » représentaient « une très faible proportion », et que « les difficultés n’étaient pas plus importantes cette année que les précédentes ». C’est extrêmement rassurant, et on devrait donc démultiplier les expériences de ce type. Plus de juges formés, plus de policiers formés, plus de chirurgiens formés, plus d’infirmières formées. Tout s’apprendra sur le tas. On constatera les « déchets », et on se réjouira qu’ils soient recyclables, mais on continuera à s’indigner du niveau des élèves français au niveau mondial. L’OCDE a présenté le classement, sur 30 pays, sur les savoirs acquis en sciences, en mathématiques et en compréhension de l’écrit des jeunes de 15 ans. Les élèves français arrivent respectivement aux 17e et 19e rangs pour leurs performances en mathématiques, compréhension de l’écrit et en sciences, selon les résultats de l’étude « Pisa » 2006. Les médias s’en sont faits des gorges chaudes, mais sans faire le lien avec tous les paramètres pouvant expliquer cette situation. « La France se situe au 19e rang en sciences et au 17e rang en mathématiques et en compréhension de l’écrit », avait déclaré Eric Charbonnier, membre de la direction de l’éducation de l’Organisation de coopération et de développement économiques. « C’est une position moyenne, en légère baisse par rapport » aux précédentes enquêtes Pisa (2000 et 2003). Bien sûr, on s’attendait à de meilleures performances, mais on ne peut pas considérer que la France est en situation d’échec complet dans son système d’éducation », a poursuivi Eric Charbonnier. La France est caractérisée, selon lui, par une « proportion d’élèves en difficultés de 20%, comme la moyenne OCDE, importante, et par le fait que l’élite est en proportion nettement inférieure à celle des pays qui réussissent dans les études Pisa », comme la Finlande par exemple. La France doit diminuer sa proportion d’élèves en difficultés, et augmenter sa proportion d’excellents élèves pour pouvoir s’améliorer dans les classements internationaux…
Parmi les 30 pays de l’OCDE, la Finlande arrive en tête du classement en sciences et en mathématiques et deuxième du classement en compréhension de l’écrit. Quand on compare les scores obtenus, les jeunes Français ont en moyenne un an de retard par rapport aux jeunes Finlandais.
Il faut maintenant que l’OCDE compare non pas le niveau des diplômes des enseignants français par rapport à leurs collègues européens, mais que l’on mesure… les dispositifs de formation professionnelle et que l’on quantifie les conséquences des choix gouvernementaux actuels. « Jour de rentrée » témoigne de cette évolution de la place des enseignants dans la République. Ils se l’étaient faite. On leur a volé. Et c’est davantage « Jour de sortie » ou « voie sans issue » qu’écrira dans 40 ans l’un de ces enseignants ayant survécu à cette politique calculée de destruction d’un corps de métier !
(1) jour de rentrée (voir ci contre) Editions Vents Salés http://editeur.manuscrit.free.fr/
(2)
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Cette dégradation de la formation des enseignants n’a rien d’étonnant : il y a des gens qui s’imaginent qu’il suffit d’être des élus (soi-disant) du peuple pour être capables de diriger un pays,sans formation adéquate et cela sans avoir une idée même de ce que peut être la vie d’un citoyen moyen.
Eux mêmes n’ont jamais sans doute été frottés au dures réalités de la vie quotidienne et de ses aspects subalternes et triviaux, comme aurait dit le général, ou bien ils les ont oubliées.
Ils imaginent qu’il en est de même pour toutes les professions : il suffit de faire acte de présence.
Un professionel, un travailleur n’est pas un « pot de fleurs »en simple représentation, contrairement à ce que pensent ces soi-disant élites.
Cela me rappelle la réflexion d’un stagiaire titulaire d’un diplôme d’épistémologie et qui ne comprenait pas que des enfants de CE1 buttent sur la symétrie !
Enseigner reste un métier qui s’apprend!