Le conseil municipal de Bordeaux, qui désormais s’est mis à l’heure de la défense, a enfin pris ses responsabilités en lançant les contribuables bordelais dans la construction d’un « grand » stade. Il est vrai que cet équipement structurant devient urgent quand on sait que l’on est de plus en plus à l’étroit dans l’enceinte vieillissante de feu le parc Lescure lors de rencontres au sommet entre les Girondins et Arles Avignon, Lorient, Brest, Sochaux, Auxerre ou Valenciennes… Le foot français vend en fait un ersatz de football qui ne mérite même pas ces « flacons » générant l’ivresse des grands soirs. Il suffit de s’installer sur un siège du Camp Nou de Barcelone, comme hier soir, pour se rendre compte de la vanité de ces décisions en décalage complet avec les réalités d’un sport spectacle sans spectacle. Devant un écran plat, malgré l’absence de profondeur, on entre dans la fournaise où coule à flots la passion.
Volcan coloré, cette enceinte dégouline en effet d’enthousiasme, au moment où les étoiles plus ou moins filantes s’installent sur le ciel vert tendre pour un ballet imprévisible. Fabuleux destins que ceux de ces chevaliers de la balle ronde en quête d’un Graal à partager avec un peuple croyant et pratiquant. Les bruits, les fureurs, les couleurs, permettent de vérifier que ce n’est pas le « grand » stade qui fait l’ambiance, mais les arabesques de ces petits bonhommes aux jambes agiles que l’on devine depuis le haut de cette arène où seuls meurent les espoirs de triomphe. La foule se considère comme privilégiée face à une soirée aussi prodigieuse. Elle sait combien elle a de la chance de pouvoir se régaler de ces affrontements qui mettent aux prises des géants aux pieds agiles.
Elle vient voir le Messi lors d’une grand messe déchaînant la ferveur. Inutile de le prier très longtemps pour qu’il fasse des miracles. Un coup de patte va tutoyer la froideur du poteau. Une ou deux escapades de filou enchantent celles et ceux qui l’ont fait roi. Impossible de ne pas lier l’écrin géant de Barcelone avec les perles qui s’y trouvent. Ici, si l’on fait dans la dentelle, ce n’est pas pour décorer mais pour embellir le jeu. Les Blaugrana, éclaboussent de classe et manient du crochet avec une déconcertante facilité. Il lessive le « blanc » madrilène en le privant de cette balle insaisissable allant de pieds en pieds barcelonais. Un coup de griffe de Xavi déchire l’espace et laisse pantois le gardien des filets madrilènes. Impressionnante, cette facilité d’artistes qui en un éclair donnent des semelles de plomb aux adversaires par la promptitude de leur envol. Le stade exulte. Que ces lutins habiles donnent une grandeur particulière au stade. La « Réal politique » se résume à une farouche volonté d’attraper des papillons qui ne cessent de virevolter autour d’eux, comme pour leur faire perdre leurs repères. Le Messi est passé par là, il repassera forcément par ici, insolent de facilité et de simplicité. Son aisance est agaçante, diabolique. Elle affole ces défenseurs, plantés comme des picadors rigides. Il tricote inlassablement pour le compte des autres comme un véritable enfant de la balle qu’il a toujours été. Le Messi s’amuse et va sans cesse défier une muraille, vite démantibulée par autant de flèches explosives.
Un second but de Pedro arrive après d’interminables minutes de disette pour ce Réal qui n’a absolument plus rien de « royal ». Il ne sera que le prélude à une humiliation qui s’accentuera au fil des minutes. Le troisième arrive, avec la plus grande facilité, avant que le quatrième fasse définitivement tomber le ciel de Catalogne sur la tête de ces prétendus « Dieux » du Stade, relégués au rang de gnomes de jardins. Villa a dégainé. Deux balles qui font mouche. Deux balles qui exécutent des Madrilènes errants comme des Don Quichotte partis combattre des moulins qui leur font du vent. L’affaire est pliée. Il suffit alors de tenir et de voir venir. Le cinquième but transforme la défaite en déroute. Prisonnier de sa honte, le Real perd en plus ce qui pouvait lui rester d’honneur avec des gestes dignes de gamins dépités. Les coups tordus ne masquent que le désarroi d’étoiles que plus personne ne mettrait sur son sapin de Noël. Elles sombrent dans le trou noir de la hargne mal placée.
Il faut se rendre à l’évidence, on est sur autre planète du ballon rond. Le Barça se promène avec cette décontraction des gens connaissant sur le bout des pieds les sentiers à emprunter. Le ballon navigue sous le regard de ces chiens battus, courant après ce qui est habituellement leur jouet, mais que les « hommes » leur ont confisqué. Dramatique pour les uns. Exaltant pour tous dans ce Camp Nou en ébullition. Le Barça continue à jouer, à s’amuser, à se faire plaisir et son public jubile.
Ce n’est jamais le stade qui devrait être considéré comme « grand », mais ceux qui le font vivre. L’ivresse n’a jamais été dépendante du flacon. Et là, c’est de l’eau de vie du football qui coulait à flots. Un régal que l’on déguste à petites gorgées, comme un alcool fort dont on n’a pas l’habitude. Les étoiles n’ont jamais été utiles sur la bouteille.
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