Il faut arriver sur la pointe des bottes, compte tenu des flots déversés par le ciel depuis quelques jours. La tête vers ce ciel chargé de nuages ouatés, roulés vers leur destin de ravitailleurs en eau de vie pour des contrées assoiffées, on cherche déjà les oiseaux bleus. Les arbres, triés sur le volet, tentent justement d’aller vers l’au-delà comme autant de perchoirs potentiels. Quelques malheureux pigeons, juchés tels des funambules dans ces cimes venteuses attendent, immobiles, la visite des vols mythiques qu’ils sont chargés de raccoler au passage. Impossible de tous les repérer, même si l’on suit les fils qui les relient au sol comme des marionnettes inversées. Ils dominent chaque jour un village dissimulé par des tapis de fougères rousses. Une légère fumée filtre d’une cheminée ressemblant étrangement à celle des maisons des sept nains dans les dessins animés de Walt Disney. Ici, tout est camouflé, discret, silencieux.
On y entre comme dans un sanctuaire où il ne faut pas déranger les servants du lieu. Ils sont là, le regard rivé sur les cieux, recueillis, concentrés, attentifs, scrutant l’arrière plan des silhouettes élancées de pins pour détecter une apparition. Ils vivent d’espoir et, selon les moments, d’eau fraîche. Il faut, pour être bien accueilli, avoir l’humilité de reconnaître que l’on ne possède pas les secrets de leurs rites. En acceptant d’être initié à cette quête, et surtout d’en partager les instants immobiles, on peut espérer devenir un hôte toléré. Ils sont installés sur une banquette constituée de trois sièges en skaï percé au-dessus du commun des visiteurs qui passent par leur lieu de vie, où une cuisinière en fonte dévore du bois de chauffage récupéré dans la forêt avoisinante. La table avec toile cirée, porte les traces d’un solide déjeuner, car il ne reste que des assiettes plates soigneusement lavées. Sur la fournaise de ce fourneau d’antan, dont on a enlevé les cercles concentriques avec le tisonnier, les cuisiniers de l’aube on posé la poêle dans laquelle a rissolé une tranche de ventrèche marbrée, couverte, au moment opportun, d’œufs frais. Rares sont les visiteurs qui ont eu le privilège du partager cet accueil, car il faut avoir été admis dans le moment crucial d’une journée, celui du lever des oiseaux bleus.
Dès que le ciel s’éclaire, ils attendent le signal du départ pour des contrées lointaines ou, en raison des changements climatiques, vers des champs de maïs à glaner ou des clairières, où sont tombés les glands. En écoutant les sentinelles commenter la saison, on a vite conscience des dérèglements de la planète.
« Ce matin, il y avait des vols avec des milliers d’oiseaux explique l’un d’eux en gardant un œil sur l’espion, ce pigeon posé devant eux dans une cage et chargé de trahir, à cause de son regard aiguisé, la présence de congénères perchés sur les cimes avoisinantes. Ils revenaient en arrière pour aller manger dans les champs récoltés. Inutile d’espérer les poser. Ils filent le matin vers leur nourriture et reviennent le soir dormir dans la haute lande ». Le guetteur est déboussolé. Il ne sait plus à quelle météo se vouer. « Le vent du Nord fait passer les vols trop haut. Nous ne pouvons pas les attirer. Et je suis certain qu’il y a des courants d’air différents selon l’altitude…. ». Ce bâtisseur de rêves de tableaux de chasse suppute, doute, s’interroge et surtout échafaude des théories sur l’évolution de la planète. La discussion ne saurait jamais le détourner de sa mission de guetteur qui lui permet de détecter des points mobiles sur l’horizon. En un dixième de seconde, il tire les ficelles des appeaux à la manière d’un organiste jouant une partition invisible quand le novice reste assis entre les deux observateurs de l’horizon bleu.
Le village s’anime quand les invités débarquent.
Eux viennent pour se réfugier hors du monde dans une endroit douillet, une sorte de nid aménagé, confortable, silencieux, aménagé au milieu de nulle part. Un brin de discussion avec les occupants occupés et ils filent sur un sentier de mousse humide vers le cœur de cet espace patiemment aménagé depuis des décennies. Dans le fond, ils viennent en pèlerinage dans une culture du partage de l’isolement hors du monde artificiel. Ici, on se retire durant quelques heures dans ses rêves d’enfance, vous savez, ceux de cabanes pour Robinson Crusoé, construites de ses mains, et dans lesquelles on espérait passer des moments inoubliables, hors de la tutelle des adultes. La table devient un autel de partage autour de laquelle se réunissent, loin du regard, des gens convertis récemment au culte de la palombière. Il s’agit en effet quasiment d’une religion reposant uniquement sur des valeurs oubliées.
En passant la porte dissimulée sous la fougère rousse, il faut obligatoirement oublier son rôle social et ses certitudes, puisque ici le paraître n’a plus aucun sens. Loin des enjeux. Loin des apparences. Loin des soucis. Loin des divergences factices. Dans ces recoins de forêt, se tissent les liens précieux que seul un repas peut tisser. Un potage de légumes a des allures de nectar vivifiant, une marmite de foie frais aux raisins, une côte de bœuf de Bazas accompagnée des cèpes venus des sous-bois voisins, des tourtières moelleuses, réconcilient avec un art de bien vivre, écartant toute restriction sociale normalisée. Se lâcher loin de tout, sans avoir cette sensation d’être sous le regard de gens chargés d’interdire, directement ou indirectement ces abus, qui font tant de bien quand ils sont partagés. Là-haut des palombes sans domicile fixe cherchent un refuge, observées par ces guetteurs chargés de les berner en leur promettant un monde meilleur qui leur sera fatal. Elles refusent le miroir des captifs pour celui du ciel ouvert sur la liberté. Elles dédaignent le prêt à porter des idées reçues, par prudence, pour aller chercher leur bonheur ailleurs sur la terre. Parfois, il faut savoir se contenter de l’instant présent pour croire, dans une cabane en planches, au cœur des fougères mourantes, que le bonheur se construit véritablement dans le partage. Le fameux mal bleu est contagieux. Il existe même des amis qui peuvent vous contaminer en vous ouvrant les portes de leur petite maison dans les bois.
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Bien suûr, c’est très beau tout ça et je ne doute pas que l’on passe ainsi des moments forts et inoubliables.
Mais excuse moi Jean Marie de ne pas partager ton enthousiasme, ce qui me chiffonne, c’est que ces beaux moments se terminent finalement à coup de fusils.
Libre à vous, amis lecteurs, de ne pas partager
Et oui, je nettoyais mon clavier et le coup est parti tout seul….
Je disais donc, libre à vous de ne pas partager mon opinion,amis lecteurs.
Ces propos que vous trouverez peut-être bêlants risquent de vous choquer dans vos traditions et je vous prie de m’en excuser.
Mais sans être un violent anti-chasse, j’admets très mal l’existence et l’usage des armes quelle que soit la raison invoquée.
Amicalement.
je te signale que hier il n’y a pas eu un seul coup de fusil tiré… mais c’est probablement exceptionnel
Je m’en doutais un peu…
C’est vrai que toutes autres considérations mises à part, il serait dommage de se priver de ces moments de convivialité, selon une expression utilisée abusivement, mais qui prend ici tout son sens.
On n’a pas trop souvent l’occasion de passer un moment sans souci ; et pendant ce temps, les oiseaux peuvent passer tranquilles…
Mon commentaire précédent m’a été inspiré par une déclaration de Roland Bacri (également atribuée à Pierre Dac), qui fut journaliste au Canard (le Petit Poète) :
« Quand j’entends parler de révolver, je sors ma culture ».
Et moi je me contente d’étaler la mienne sans parvenir à boucher les trous de la tartine….
completement d’accord avec JJ
Si j’ai bien compris il y a des opposants à la chasse… Avez-vous pensé, Nemrodicides que vous êtes, au désarroi d’Eric évincé de la meute par un court et qui sans la chasse à courre Chantilly-esque ne serai plus rien ?
Chalut à tous!