Le fossé se creuse entre le monde politique et les électrices et les électeurs, sur la base d’un constat objectif que ces derniers effectuent : aucune des promesses électorales ne sont généralement tenues au plan national. C’est sûrement ce qui fait actuellement la différence fondamentale entre le jugement porté sur les élus locaux et sur les responsables nationaux. Après un scrutin, les premiers restent en permanence au contact de leurs mandants qu’ils peuvent interpeller, contester ou soutenir, alors que les autres ne sont dans cette situation qu’à travers des combines de communication, montées par le système médiatique. Lors des émissions politiques du dimanche, ils peuvent affirmer n’importe quoi ou ne répondre à rien, sans aucune conséquence sur leur avenir, puisqu’ils viennent en mission pour placer quelques contrevérités utiles au parti qu’ils défendent. Le reste ? Ils savent bien que jamais il n’y aura un rappel de leurs propos ou de leurs engagements, plus ou moins solennels, puisque l’éphémère l’emporte toujours sur le durable dans ce monde de la sur-communication instantanée. Aucun maire ne peut se permettre ce type d’exercice, car d’abord il est extrêmement rare qu’il obtienne les moyens de s’exprimer sur sa vision de la vie sociale. Il faut un fait divers pour que les micros ou les caméras se déplacent, et il aura une dizaine de secondes pour s’expliquer. L’enjeu véritable des prochains mois repose sur les moyens que trouveront les élus de terrain pour expliquer, expliquer, sans cesse expliquer, car la situation va devenir tellement inégale entre un niveau national écrasant le système et eux, que le combat cessera vite faute de combattants.
Toutes tendances politiques confondues, les conseils municipaux ou les conseils communautaires se retrouvent dans une situation intenable, même si ceux de droite tentent de masquer leur désarroi en attaquant leur pourvoyeur de crédits qu’est le Conseil Général. En effet, ils avaient tous (et notamment les élus de 2008) lancé des promesses tous azimuts, sans savoir que la crise d’abord, les réformes dévastatrices ensuite, allaient totalement bouleverser les certitudes qu’ils avaient. Ils se retrouvent avec des catalogues de projets, mais peu de réalisations effectuées, alors que dans moins de 5 mois ils seront à mi-mandat. Les investissements cette année seront quasiment au point mort partout, et assurer le fonctionnement des services déjà mis en place devient problématique, en raison du désengagement d’une Caisse d’allocations Familiales mal en point, d’un Etat n’arrivant même plus à payer ses propres dépenses et d’un Conseil général sachant qu’il va dans le mur à plus ou moins long terme. Les équipes municipales fraîchement élues s’impatientent et transfèrent sur leurs partenaires, qui n’en peuvent mais car soumis eux aussi aux conséquences du saccage des rapports établis, moins de deux ans après leur installation. Il faut beaucoup de solidité pour accepter la pression amicale venant de toutes parts et cherchant à obtenir un passe-droit refusé aux autres au nom de l’équité. Le gouvernement a parfaitement réussi sa « réforme territoriale » idéologique en semant la zizanie entre communes, communautés de communes et conseil général !Tout le monde doute de l’autre. Tout le monde pense que des passe-droits existent, que des arrangements sont possibles.
Dans la mesure où il est impossible de communiquer localement autrement que sur des « faits divers », des approximations, des détails inutiles, les maires, les présidents ou les conseillers généraux tournent en rond, pliant l’échine sous les effets dévastateurs des déclarations nationales ciblées. Sur la sécurité ? Faute aux Maires qui refusent d’entrer dans le système Big Brother ! Sur l’environnement ? La faute aux maires acculés à des augmentations épouvantables des coûts pour les usagers, pour respecter des normes décrétées nationalement. Sur l’éducation ? Les maires doivent compenser les absences d’enseignants ou se préparer à cracher au bassinet pour l’amélioration des rythmes scolaires ou sur les jardins d’éveil. Aucun Ministre ne vient à un conseil d’école. Aucun ministre ne reçoit des arrêtés préfectoraux de fermeture de la station d’épuration. Aucun Ministre ne facture aux administrés un m3 d’eau, richesse collective indispensable, à des prix exorbitants. Aucun Ministre n’est confronté aux incivilités récurrentes.
En fait, un précipice se creuse lentement, comme une faille dans le sol lors d’un tremblement de terre, entre les communes rurales ou périurbaines et les plus grandes, situées dans les zones urbaines. La réforme qui interdit en 2015 les financements croisés (la date a été éloignée pour rassurer un peu les élus locaux de droite), constitue un coup mortel aux communes centres dont la population se situe entre 3 500 et 5 000 habitants.
Dotées de moyens financiers supérieurs, et plus encore d’une force de frappe renforcée en termes de communication, elles vont écraser le paysage institutionnel, justifiant ainsi la disparition souhaitée, mais pas encore formulée, des cellules communales. On va à la longue contraindre les Maires à se saborder, car incapables de répondre aux demandes d’une population insatisfaite.
Par exemple, quel est le débat à Bordeaux actuellement : financer un grand stade (165 millions d’euros) un centre culturel international du Vin, un ponton gigantesque sur la Garonne, alors que partout dans le canton de Créon les élus sont préoccupés par des écoles à rénover, des tuyaux d’assainissement à poser, des stades sans aucun équipement à refaire, des centres villes à rénover et à sécuriser, des centres de loisirs à aménager ou des services de proximité à seulement maintenir. Il faudra rappeler que ces projets, en période de crise, doivent être assumés par leurs concepteurs et pas nécessairement par les contribuables démunis qui souffrent et se serrent la ceinture pour simplement assurer un quotidien acceptable.
Ce décalage considérable échappe cependant aux habitants, gavés de propos tous plus démagogiques les uns que les autres sur « les impôts » inutiles, les « taxes » inégalitaires, les « indemnités » trop nombreuses, les « cagnottes » constituées, les « gestions » dispendieuses et des « calculs » politiciens. En 2011 la situation s’aggravera et en 2012 elle deviendra insupportable. Il faudrait pourvoir le dire… et espérer être entendu !
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