Heureux soient les innocents…

Il est parfois très difficile d’admettre que vos pires ennemis ne disent pas que des absurdités ou ne tiennent pas des propos outrancièrement faux. Il arrive même que l’on soit obligé de convenir que l’on partage une parcelle de leur argumentation au nom de son goût personnel pour la vérité. Dans une déclaration, Jean Marie Le Pen, dont on ne peut pas me suspecter de partager le moindre brin d’idéologie, a comparé le sort fait à Jacques Chirac et celui fait à Jérôme Kerviel. C’est vrai que si l’on voulait détruire toute image positive de la justice française, il suffirait de mettre en parallèle des faits, une enquête, un jugement, pour perdre toutes ses illusions. Même si les motivations sont différentes, le parallèle reste cohérent et révélateur de la République actuelle.
Travaillant forcément sous la tutelle d’un cadre, Jérôme Kerviel a mal rempli la fiche de poste qui était la sienne et qui, on peut le supposer, avait fait l’objet d’un contrat de travail. Il avait été engagé pour enrichir son employeur de manière forcément aléatoire ou risquée. Pour Hugues le Bret, directeur de la communication du groupe au moment de l’affaire, qui a publié, le jour du verdict, un livre intitulé : « La semaine où Jerôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial », la banque élue « meilleure du monde » en 2006 pour ce type d’activité a péché par excès d’arrogance. Il tente de sauver les dirigeants de l’époque, qui ont essayé de remettre à flot la banque et ses 160 000 salariés, mais reconnaît les énormes lacunes des procédures de contrôle. Il explique qu’un trader réalise plusieurs milliers d’opérations par jour, et que Jérôme Kerviel en avait effectué à lui tout seul plus de 500 000. Il écrit :« les contrôles internes ont failli, puisque même s’il y en a plusieurs milliers par jour, ils ne sont pas répertoriés par trader et il n’existe pas de nombre d’incidents par tête. » En conclusion, il évoque la nécessité de penser une autre organisation de la finance. Il traduit simplement ce que tout le monde pense : quand le salarié augmente le profit de son employeur, on tourne le regard sur les moyens qu’il emploie, et on ne se pose des questions, tardivement, que quand tout vire à la catastrophe.
En fait Kerviel, que personne ne soutiendra véritablement, a été condamné pour l’exemple, afin de redonner un zeste de crédibilité à un secteur économique qui a bénéficié de largesses financières de l’Etat, afin de réparer la faillite qu’il avait lui-même créée. L’ancien trader de la Société Générale a été condamné à cinq ans de prison dont trois fermes et 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts, pour avoir, dans le cadre professionnel, trompé la vigilance de ceux qui étaient grassement payés pour, justement, le contraindre à gagner toujours davantage d’argent en toute sécurité. Il s’est trouvé un juge qui méritera probablement une promotion pour son efficacité, pour imaginer des dommages et intérêts égaux à un tiers du déficit de la sécurité sociale, payable par une seule personne, alors qu’avec les aides des contribuables, la Société générale s’était déjà refait une santé ! Il faut résumer de manière compréhensible : un employé d’une banque est condamné pour avoir perdu le pognon d’une banque au loto du profit, dans le cadre de ses horaires de travail. Fusillé pour l’exemple…Le zèle du juge est tel que la banque en est gênée, et que le gouvernement en appelle à la clémence financière ! Il en est un qui n’a pas rencontré les mêmes problèmes, car tout le monde a surveillé attentivement son dossier, afin que tout se passe au mieux. Une babiole faite au détriment de fonds publics, qui ne mérite pas autant d’acharnement que celui mis à poursuivre un trader. D’abord, pour lui, la générosité du contribuable français a suffi à apaiser les craintes des structures réputées lésées.
Subventionnée directement par l’Etat, alimentée par les pourcentages prélevés sur les indemnités des élus payées par l’Etat, financée par de généreux donateurs qui privent ainsi l’Etat des ressources fiscales liées à un don à un parti politique, l’UMP va sauver son « trader » historique. Montant de la facture 1,7 millions d’euros qui seront prélevés sur les fonds du parti dont on sait pourtant combien leur collecte a demandé d’efforts à Eric Woerth. La compréhension de ses pairs à l’égard d’un élu parisien va permettre de faire doublement payer, de manière certes indirecte, au contribuable pourtant si sourcilleux sur une augmentation d’une poignée d’euros de ses taxes foncières, une utilisation frauduleuse des fonds publics via des emplois fictifs… Jacques Chirac est né sous une bonne étoile. Pourvu que ce secours providentiel ne vienne pas des placements de l’UMP à la Société Générale ! Nicolas Sarkozy avait défendu le principe de cet accord : « Pour Chirac, c’est notre devoir, votre devoir de le faire. Dans une famille politique, il faut savoir être solidaire », a-t-il fait valoir. Cette solidarité de caste à l’égard d’un « employeur » ne semble pas avoir joué à l’égard d’un « employé » d’autant que l’on voit poindre d’autres décisions.
Le désormais célèbre Procureur de Nanterre a ainsi requis un non-lieu en faveur de l’ancien locataire de l’Elysée. Dans son réquisitoire, il explique «qu’après avoir examiné les sept emplois pour lesquels M. Chirac a été mis en examen pour prise illégale d’intérêt, le parquet constate qu’il n’y a pas d’éléments suffisant pour remettre en cause la bonne foi de M. Chirac». Ce sera au seul juge de décider du sort de l’ancien président de la République, puisque le juge d’instruction chargé du dossier n’est pas tenu de suivre les mêmes réquisitions énoncées par le parquet. Certains proches de l’ancien président de la République n’hésitent d’ailleurs pas à demander la « dispense » de ce procès, « pour raison de santé », car Jacques Chirac serait déprimé… Décidemment, tous les malheurs sont réservés aux mêmes. Ce « pauvre » Kerviel a encore 177 000 ans à bosser pour rembourser ce qu’il n’a pas su gagner : heureux soient les innocents !

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Cet article a 4 commentaires

  1. Michel d'Auvergne

    177 000 ans à bosser, la retraite à 65 ans, c’est pas pour Jérome. Il s’agit peut-être d’un « lapsus » de la justice. Freud parlait « d’actes manqués », c’est vraiment manqué cette fois !
    Puisque tu rentre de vacances Jean-Marie je t’offre le (mauvais) calembour de la rentrée: ne confondons pas « lapsus et
    lape-suce. »
    Amitiés massif-centralières à tous,
    Michel.

  2. G Orwell

    Ce qui me fait frémir, c’est qu’une personne « pourrait pratiquement à elle seule en qq. clics mettre à mal » une banque, la mettre donc en faillite, puis par le jeu des dominos faire chuter tout le système mondial de la finance !
    Alors imaginons qq. « hakers » qui TOUS ensemble, TOUS ensemble, ( X 500 000 opérations) de quelques services secrets…qui tripatouilleraient autant l’argent fictif que la gestion des productions d’électricité…le CHAOS !
    Quant à JC avant NS, no comment tellement c’est écœurant.

  3. maulin

    Et oui! JM tu as entièrement raison de mettre JC, et se fameux « pauvre » tradeur dans le même panier. Et quant tu fais allusion à JML, moi ça me fait penser, que tous ses faits, peuvent faire basculer, une « bonne vieille » démocratie,vers une « mauvaise » dictature.

  4. J.J.

    Dixit JM, et je partage son opinion :

    «  » »Il est parfois difficile d’admettre que vos pires ennemis ne disent pas que des absurdités ou ne tiennent pas des propos outrancièrement faux. Il arrive même que l’on soit obligé de convenir que l’on partage une parcelle de leur argumentation au nom de son goût personnel pour la vérité. » » »

    Ceci dit, c’est du « pain béni » pour l’ancien parchutiste…

    Et c’est avec des procès comme ceux-ci que l’on déconsidère complétement aux yeux du public ce qui reste de notre esprit citoyen et républicain.

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