Deux jours et donc une nuit à Paris, dont celui de la rentrée scolaire, relève de la contrainte de pensionnat. Deux jours d’immersion dans les arcanes du pouvoir central, qui passe l’essentiel de son temps à complexifier les problèmes afin de justifier, la plupart du temps, l’existence de celles et ceux qui se contentent d’accompagner la caste qui l’exerce, ne me conviennent guère. J’avoue cependant ne pas détester ce boulot de fond, qui permet de mesurer le décalage extraordinaire qui existe entre un Ministère et… les réalités du terrain. Là-haut, la France d’en bas prend conscience, si elle ne l’avait pas déjà fait, de ce pourquoi elle survit : régler les difficultés que les penseurs qui gouvernent ne savent pas, ne peuvent, ou mieux, ne veulent pas résoudre. Je comprends mieux, depuis maintenant deux ans que je navigue dans les sentiers de cette élite, que pour conserver un poste d’élu national de la majorité actuelle, il faille fermer sa gueule. Je n’arrive pourtant pas encore à comprendre comment, à l’assemblée nationale, ces gars de terrain peuvent se muer en handicapés de la conscience, totalement aveuglés par une pseudo-loyauté qui ne leur permet en définitive que d’espérer masquer leur lâcheté. Ce climat détestable, qui imprègne les moquettes des ministères et des allées du pouvoir, paraît tellement malsain que l’on n’a qu’une seule hâte : fuir !
En fait, le seul principe politique en vogue : c’est dire tout bas ce que l’on est incapable de proclamer tout haut, et de faire des cures de bons sentiments, pour ensuite « avouer » qu’ils sont inutiles, inapplicables ou inefficaces. Et toute la journée, la machine tourne à plein régime. Mais comme on s’arrangera pour qu’il n’y ait jamais d’évaluation objective, ou qu’on la tripatouillera pour qu’elle donne un résultat positif, personne ne souhaite arrêter la mécanique politique actuelle.
Entrer dans un Ministère avec des illusions sur ce que l’on va obtenir, quand on vient avec ses sabots crottés d’élu de base, ressemble au tableau des Bourgeois de Calais venant plaider leur cause auprès d’une princesse ou d’un prince que l’on ne voit que les jours de gala, ou maintenant à la télé irréalité. D’abord, quelle que soit l’importance du dossier, il ne prendra jamais le risque de se confronter à des gens techniquement au point, blindés sur le sujet qu’ils viennent aborder et, plus encore, nettement plus au courant que lui des désastres qui se profilent. Il se défilera sur tous les sujets qui fâchent, occultera un éventuel débat, et surtout, se gardera bien d’effectuer des propositions qui fâchent. Ensuite, en province, le Ministre vient constater et s’informer du spectacle qu’on lui a spécialement préparé. Il aime ce contact sécurisé qui lui garantit un succès auprès d’un public trié sur le volet. Il emprunte un vélo, ils serre des mains aux ongles bien faits ou soigneusement préparés, il s’adresse au Préfet qui, bien évidemment, tremble à l’idée que son hôte perçoive l’envers du décor, mais… quand débarque une délégation costaud, porteuse d’une autre facette de ce qu’il croit avoir survolé, le rideau se ferme. Enfin à Paris on ne parle que de ratios, et surtout on écoute que ce que l’on veut entendre. Pour le reste, ce n’est qu’un vaste poker menteur politique, destiné à sauvegarder les apparences que l’on sait pertinemment trompeuses.
Des exemples ? Vous parlez, dans un Ministère de l’écologie, du montant de la TVA payée par les collectivités territoriales pour traiter les déchets, référence simple ? Vous entendez répondre : « on ne peut pas le connaître et personne à Bercy ou au Ministère ne sait le calculer ! » Tout ça pour exonérer les producteurs de déchets de ce montant des frais, payés par les contribuables de base. Mieux, les « pauvres » élus, situés de l’autre côté de la superbe table de réunion, savent, eux, que sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), Bercy qui établit une taxe, réalise 400 millions de bénéfices au détriment de ces mêmes contribuables… Surréaliste.
Vous parlez du surcoût des déchets d’emballage souillés, pour apprendre que l’exemple choisi pour illustrer le « non-pris en compte de cette réalité quotidienne » (qui jette des déchets propres, secs et lavés dans sa poubelle ?) c’est « la personne qui se débarrasse d’un pot de yaourt entier » et qui est donc irresponsable. Un autre monde ? Non, une autre planète ! Comme si en France, en cette période, les familles jetaient les yaourts avec du lait sous payé aux éleveurs, mais valorisé à un prix prohibitif, pour le plaisir, et pour pénaliser Danone qui fait les pots ? Le cabinet qui a travaillé sur ces réponses a véritablement une grande expérience de la vie.
Le Ministre, qui n’y connait rien, prétend via ses porte-parole, qu’une majoration de 60 millions d’euros de la contribution des producteurs d’emballages va les ruiner ou presque. Alors qu’un rapide calcul, reposant sur une moyenne de trois emballages jetés (verre, papier, carton, alu, matière plastique recyclable) quotidiens et par personne (c’est peu), démontre qu’on arrive simplement à une majoration de chaque emballage de moins d’un millième d’euro par produit. Et encore ! des arguments de ce type nécessitent des études dans les plus grandes écoles du pays.
Inutile enfin de parler de transparence, de respect simple des textes votés et souhaités par les ministères, puisque les présents cautionnent une mascarade de cahier des charges, rédigé en présence du seul organisme pouvant y répondre, et sur lequel on lui fournit toutes les réponses à l’avance. Mais quel élu local peut s’offrir pareil luxe sans se voir traduit en justice ? Pour un ministre, apparemment, c’est normal !
A Paris, pendant un entretien au Ministère, le téléphone sonne : c’est le cabinet du président de la République qui réclame des données d’urgence. Comme on est, avant tout, Ministre du culte présidentiel, il faut s’exécuter. Les présents ? Quels présents ? Des emmerdeurs venus plaider la cause de leurs mandants, auxquels de toutes les manières le (la) Ministre n’aura jamais à parler en face. Alors ? C’est ainsi et pas autrement. « Vous voulez bloquer la réforme ? Vous tuez la concertation ? Vous retardez l’inéluctable ? Vous pinaillez pour pas grand-chose ?… » La sentence tombe : ce qui est décidé est décidé et on n’admettra que des ajustements à la marge. Ainsi soit-il ! Circulez, il n’y a rien à comprendre. Débrouillez vous avec les habitants. Ce n’est pas notre problème. Nous, on a des consignes écrites !
La voiture attend dans la cour pavée, toutes portières ouvertes…Elle attend un ministre préoccupé par son avenir. Il lui faut aller à un diner en ville avec des gens qui comptent, ou rassurer des militants, leur expliquer que tout va bien, que ces élus locaux qui ont les mains dans le cambouis et les pieds dans la fange quotidienne ne sont que de dangereux emmerdeurs, qu’il vaudrait mieux faire disparaitre pour avoir un brin de tranquillité. D’ailleurs, l’élimination a débuté… pour éviter pareille impudence. Le vibreur du portable s’énerve. Le pouvoir a ses nécessités que les gens présents ne peuvent pas connaître. Ah ! Au fait, on parle de remaniement…ministériel. Sur quelles bases ?
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Et voilà !!! après les « Pollueur-Payeur » nos très honorables penseurs sarkozistes (sic) et décideurs politiques (sic) viennent d’inventer les « Emmerdeurs-Payeurs »….
A votre avis, qui sont ces emmerdeurs ? toujours les mêmes biensur… nous !!!
On est bon qu’à mettre la main à la poche, pendant qu’une minorité de privilégiés se remplissent bien la panse…
Merci encore Jean-Marie pour tes 2 derniers articles sur le sujet qui reflètent bien la mentalité des gouvernants et la réalité du terrain…
La preuve que le ministre et ses soi-disant spécialistes du problème n’y connaisssent vraiment rien, c’est que les pots de yaourt (du moins sur la fiche de consignes qui m’a été remise avec les sacs ad-hoc pour rassembler les déchets à recycler), les pots de yaourt dis-je, doivent être jetés dans la poubelle noire et non le sac jaune !
D’après les « ambassadrices du tri », venues porter la bonne parole du tri sélectif dans les foyers, on n’a pas encore trouvé le moyen de traiter ces déchets (de même pour les sacs ou emballges plastiques souples).