En été, plus que tout au long de la saison, les Gaulois (même de la seconde génération) que nous sommes, avons peur que le ciel nous tombe sur la tête. La crainte des orages se fait plus pressante et celle, à minima, que des nuages viennent altérer le bleu des nues, constitue l’obsession du jour pour celles et ceux qui on acheté « sea, sex and sun » clé en mains. Tous les soirs, la météo devient l’émission de télévision la plus regardée. Nul ne songe à critiquer le contenu de ses prévisions lorsque l’astre solaire figure sur la carte à l’endroit où l’on est, alors qu’un doute subsiste si l’annonce n’entre pas dans les espoirs. En fait, avec ou sans étoiles, un ciel d’été se doit d’être serein…pour correspondre à l’esprit des congés encore payés. La civilisation de la « rentabilité » ne tolère plus que des jours qui coûtent soient perturbés par un événement climatique simplement naturel, surtout quand ils ont été payés à un prix prohibitif. En fait, l’été, tout se lit et tout se vit dans le ciel. Sur tout l’hémisphère nord, une course enfantine cherchant à atteindre la voûte céleste s’enclenche. De la terre, à laquelle elles sont ancrées, les plantes se lancent à l’assaut d’un improbable rêve de gigantisme.
Parmi elles, j’en connais trois qui s’étirent sur la pointe des racines pour porter le plus haut possible leurs élégantes floraisons : le chèvrefeuille, la glycine et le volubilis ! Le trio rivalise en terme de hauteur et surtout témoigne d’une extraordinaire vitalité pour escalader tout ce qui se présente. Ils grimpent sans vergogne, profitant du moindre support qu’ils emprisonnent dans leur exubérance, pour ensuite étaler le bonheur de dominer toutes les autres plantations.
Le chèvrefeuille et ses fleurs tarabiscotées sait fort bien que même s’il étouffe tout ce qu’il touche, il les endort avec son parfum subtil. Les oiseaux vaniteux exhalent en effet dans les sentiers ou les jardins une odeur que j’aime par-dessus tout. Elle est pénétrante, envoûtante sans être enivrante. Je ne résiste jamais, lors d’une rencontre, à détacher une inflorescence pour me plonger dans mon enfance. Je me revois, assis sur le fauteuil surélevé du salon de coiffure-bar de ce géant au rasoir agile et aux ciseaux mal aiguisés, qui était spécialisé dans les coupes en brosse. Monsieur Ogé avait aligné sur une étagère des flacons biseautés, munis d’un fin tuyau et d’une poire colorée en caoutchouc, terminés par un plumet. Ils avaient tous un dessin de fleur correspondant à leur contenu. J’avais repéré celui du chèvrefeuille qui me fascinait car il était réservé aux hommes riches, qui venaient chaque jour se faire tailler la barbe. Dans le fond, je ne sais pas si, quand je plonge mon nez dans les volutes de ces fleurs complexes, je ne cherche pas à prendre une revanche sur l’impossibilité dans laquelle j’étais d’accéder à ces fascinants vaporisateurs. Ne pas aimer le parfum du chèvrefeuille, c’est mépriser un don que seuls les cieux d’été peuvent accorder lors d’une promenade à la fraîche, dans un chemin ne sentant pas encore la noisette !
Une tonnelle en glycine ne peut être la résultante que d’un long travail familial, car chaque jour, il est indispensable de guider ces longues pousses qui se tortillent dans tous les sens, en cherchant elles aussi à gagner le ciel. Des décennies de patience permettent de goûter au plus beau des spectacles, similaire à celui de cette treille aux grappes mûres que le loup renonça orgueilleusement à atteindre. Un toit, d’un violet très doux tombe du plafond. Des dizaines et des dizaines de ces grappes redonnent un sens à la gravité, alors que les pousses des branches tentent d’agripper quelque chose à l’échelon supérieur, donnant à la tonnelle une chevelure de savant fou ! Siroter un rosé sous un tel ciel d’été, dans le silence d’une soirée tempérée, constitue un privilège que seules les anciennes maisons de pierre blonde peuvent procurer. Envahissante, meurtrière, bourreau de ses supports, la glycine devient féroce en prenant de l’âge, mais elle se fait pardonner, l’espace d’un mois, quand elle délivre sa récolte d’émotions florales, dispensant un parfum suave, sucré, sensuel, destiné au ciel de l’été. Attention, une accoutumance peut provoquer des situations de manque quand l’hiver est revenu !
Enfin il reste le volubilis. Son nom fait déjà rêver ou plutôt halluciner. Peu de gens savent en effet que cette plante, jamais satisfaite de son sort terrestre, venue d’Amérique du Sud, produit des graines dont les effets sont proches de ceux du LSD. Heureusement que les feuilles ne peuvent pas se fumer, car les jardins seraient privés de ces larges corolles fines et élégantes comme des robes de soirée, qui se referment timidement sur elles-mêmes quand le soleil disparaît. Le bleu de ces créations d’un grand couturier de la nature ressemble étonnamment à celui d’un atoll du Pacifique. Il donne parfois une envie pressante d’entrer dans cet entonnoir parfait pour aller découvrir les pensées secrètes de ces fleurs, similaires aux tenues des derviches tourneurs en pleine extase. Le volubilis consent à se montrer dès que les sunlights de l’été s’allument. Lui aussi ambitionne de porter la beauté au firmament et d’ atteindre la perfection. Une ambition démesurée qu’il s’épuise à tenir et qui le conduit, lui aussi, à sa perte quand la rentrée est venue.
Le jaune pâle du chèvrefeuille grimpant, le bleu mauve de la glycine prolifique et le bleu d’azur du volubilis envahissent nos étés, dans l’indifférence car ces plantes ne figurent jamais dans les décors des cartes postales. On y retrouve les palmiers sans date, les lauriers permettant de voir la vie en rose, les hibiscus multicolores mais surtout pas ces plantes des jardins secrets, que seuls les véritables amoureux de l’été savent rencontrer.
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Il ne faut oublier également, dans la famille des « grimpantes de l’été » le Bignonia ou bignone, ou jasmin de Virginie, au corolles en trompettes orange, rouges ou jaunes.
Dans un jardin voisin du mien, un bignonia a ainsi été planté au pied d’un épicéa d’une bonne quinzaine de mètres de haut, qu’il a complétement colonisé.
Nous pouvons donc en ce mmoment admirer un majestueux résineux entièrement couvert de fleurs rouges, d’un effet saisissant.
Ma préférée, c’est le chèvrefeuille….Elle allie à la subtilité de l’odeur, à nulle autre pareille, l’élégance et l’harmonie des formes: tarabiscottées, comme tu le dis, certes, mais tellement délicates, et élégantes. Et puis, le chèvrefeuille a enchanté mon enfance, dans le jardin de ma grand mère. Merci de me rappeler avec tant de délicatesse et de raffinement ces souvenirs d’enfance !