En cette 105éme année de la séparation des églises et de l’État, jamais cet acte républicain fondamental n’aura été autant malmené. C’est à croire que le libéralisme se complait à distribuer massivement de l’ « opium au peuple » en mettant en œuvre une phrase prêtée à André Malraux. On la répète souvent : “Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas.” En fait, l’auteur des Antimémoires n’a jamais prononcé cette phrase. Il a même précisé à Pierre Desgraupes (Le Point, 10 novembre 1975): « On m’a fait dire: « le XXIe siècle sera religieux. Je n’ai jamais dit cela bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un évènement spirituel à l’échelle planétaire. » Un journaliste à La Croix, rapporte les propos du curé de Strasbourg, qui avait fait dire à Malraux en 1973 dans L’Enfant du rire: « Le XXIe siècle sera métaphysique ou ne sera pas ». Huit ans plus tard, l’écrivain André Frossard assurait avoir entendu sur les lèvres de Malraux: « Le XXIe siècle sera mystique ».
En réalité, Malraux était athée. Comment remplacer Dieu, se demandait-il ? C’est ce qu’exprime Tchen, un des personnages de son grand roman humaniste La Condition humaine: « Que faire d’une âme s’il n’y a ni Dieu, ni Christ? ». Le 23 novembre 1976, ses obsèques n’eurent droit à aucun honneur religieux, mais plutôt à une étrange cérémonie dans la cour carrée du Louvre, devant la haute statue colorée d’un chat. Il y a donc tout lieu d’utiliser cette citation avec une grande prudence… mais elle prend pourtant tout son sens, quand on observe attentivement la gouvernance actuelle de la Droite. Pour peu, j’oserais écrire qu’elle était prophétique !
Force est de reconnaître que les religions sont revenues en force dans le gouvernement temporel, et qu’elles occupent partout sur la planète le devant de la scène. Plus personne n’ose les remettre là où elles doivent être, c’est à dire dans la sphère strictement privée, et les exclure de la sphère publique. Mieux, les unes après les autres, dans notre pays, elles font l’objet de sollicitudes coupables de la part de femmes et d’hommes politiques ayant une seule idée en tête : communautariser au maximum la société, de telle manière qu’ils puissent leur confier une part de la responsabilité de la gestion sociale. L’objectif est clair. Le premier signal de cette idéologie est venu, dans la période récente, avec l’appel au secours d’un Ministre de l’Intérieur pyromane, envers les imams des banlieues. Incapable d’enrayer les révoltes qu’il avait créées, il a sollicité les directeurs des consciences musulmanes, pour apaiser un mouvement incontrôlable.
C’est probablement ce qui a inspité son discours historique de Chanoine de Latran, qui restera comme l’acte fondateur du retour en grâce du religieux, car sa portée allait bien au-delà de la mouvance catholique. Cet extrait porte en lui une idéologie issue des cercles réactionnaires, rêvant de désunir, de délaïciser et de marchandiser la démocratie. « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance… » Terrible sentence !
En fait, on en retrouve sous des formes concrètes multiples, une déclinaison idéologique. Dans son discours du 20 décembre 2007, Nicolas Sarkozy jugeait « dommageable » que les diplômes des universités catholiques ne soient pas reconnus par l’État français. L’allocution de notre chanoine honoraire avait alors soulevé des volées de critiques. Mais le « dommage » est maintenant réparé. Dans un communiqué laconique, Bernard Kouchner précisait, urbi et orbi, que l’accord signé avec le Vatican avait « pour objet de reconnaître la valeur des grades et des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur catholiques et reconnus par le Saint-Siège, et de faciliter les différents cursus universitaires ». Les catholiques pourront donc désormais former les enseignants et distribuer des parchemins réputés bénis !
Le 27 mai dernier, il a confirmé, sans que les médias s’en offusquent un instant, en déclarant à l’institut de théologie protestante de Paris qu’il était allé… inaugurer : « Ce n’est pas faire injure au principe de laïcité que de reconnaître dans le protestantisme une pensée de liberté et de responsabilité humaines, une éthique forte, rigoureuse, ô combien exigeante, un esprit d’indépendance, une volonté de résistance et, en même temps, une fidélité sans faille à la Nation et à la République ». Et, à la clé, la reconnaissance officielle des diplômes délivrés en ce lieu. Une communauté religieuse était à nouveau encensée et voyait surtout sa présence dans la sphère publique officialisée.
Il a laissé à son premier collaborateur le soin de parachever l’exercice. François Fillon a en effet inauguré une mosquée en région parisienne (1), une première dans l’histoire de la République, et un geste fort pour tenter de rassurer la communauté musulmane, échaudée par les débats sur l’identité nationale et le voile intégral. Il faut faire oublier les « Auvergnats » d’ Hortefeux. « La réalité de l’islam de France aujourd’hui, c’est celle d’un islam de paix et de dialogue », un « islam de juste milieu où le croyant vit sereinement sa foi » dans le respect de la République, a lancé le Premier ministre. « Tirailleurs, spahis, tabors, moi, je n’oublie jamais tous ces soldats épiques, descendus de l’Atlas et des Aurès pour faire don de leurs vies à la France », a poursuivi François Fillon, en référence aux combattants, souvent musulmans, des anciennes colonies, qui ont lutté sous l’uniforme français. « Aujourd’hui, les personnes de confession musulmane et leurs lieux de culte sont encore trop souvent l’objet de discriminations, et la cible d’agressions que nous ne pouvons tolérer. Oui, il y a en France des actes anti-musulmans », a-t-il ajouté, promettant d’être « intraitable » contre ces faits.
Dans le même temps, il a estimé que « l’ennemi de la cohésion nationale » était « le repli clanique et le communautarisme », dont l’une des formes les plus dangereuses était « l’intégrisme religieux ». Il faudra qu’il rencontre très vite son confesseur car ce pêché par mensonge éhonté risque de lui valoir un sort ultérieur détestable. En effet, jamais la cohésion nationale n’a autant été volontairement mise à mal par des décisions gouvernementales, jamais on a autant encouragé, développé « le repli clanique », jamais le « communautarisme » n’a été autant développé et parfois même encouragé. Jamais depuis 1905 une politique n’a été aussi inspirée par les religions. Il faudrait que la fontaine en marbre rose pamplemousse du petit village de Caunes Minervois bénéficie de la même sollicitude. Une plaque porte cette phrase de Jean Jaurés que le Président de ce qu’il reste de notre République ne citera jamais : « La république, c’est le droit de tout homme, quelle que soit sa croyance religieuse, à avoir sa part de la souveraineté. » Attention, elle se réduit de jour en jour !
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Tu as raison, Jean Marie, pas un jour sans que la séparation des Eglises et de l’Etat ne prenne un coup de la part du pouvoir! Aprés l’église catholique et les éloges et faveurs du Chanoine de Latran, après l’institut de théologie protestante de Paris, voilà maintenant le premier ministre qui va inaugurer une mosquée, et fait un éloge appuyé de l’Islam de France….A quand les temples bouddhistes,les hindouïstes, et pourquoi pas les lieux de réunion des Témoins de Jéhovah, ou des Scientologues….En période de tourmente sarkosiste, cela ressemble assez à « laissez venir à moi » les électeurs de tous bords !!!!Je n’ai rien contre aucune de ces religions, encore que certaines s’apparentent à des sectes, mais, de grâce, faisons en sorte que la séparation des églises et de l’état soit respectée….
Alors déployons toute notre énergie pour que la journée de la laïcité, le 11 décembre prochain, soit une réussite partout en France, pour que nous affirmions haut et fort notre attachement à ce principe essentiel de notre démocratie.