Les députés les plus zélés veulent apparaître comme les plus grands redresseurs de torts de la démocratie. Eux, ils veillent à ce que leurs lois, souvent inappliquées car inapplicables, portent leur nom, et qu’ils puissent entrer dans les annales de l’assemblée nationale. Dans le fond, ils se contentent, en permanence, de traiter les effets de ce que les médias complaisants érigent en faits de société. Ensevelis sous une avalanche de textes purement superficiels, ils collent à l’actualité de telle manière qu’ils donnent l’impression d’une louable efficacité politique. Ils se contentent de courir après des réformes d’importance totalement différente, et ils tentent de boucher les trous béants des crises successives. Les grands rendez-vous sur la suppression de la peine de mort, sur la décentralisation, sur le RMI, sur la CSG, sur les 35 heures ou sur la retraite à 60 ans ne reviendront jamais dans l’hémicycle… car ils constituaient des avancées réelles pour la société. Désormais, les députés s’évertuent à plaire au Chef d’un État français en perdition. Quel que soit le travail considérable effectué dans les groupes d’étude ou les missions ou les les commissions, on retrouve à l’arrivée ce que veut le Chef ! Cette tendance devient tellement catastrophique qu’ils ont perdu absolument toute crédibilité.
Un exemple ? Le débat sur l’absentéisme scolaire est révélateur de ce comportement qui discrédite totalement les lois. Les députés UMP se moquent totalement des causes multiples de ce phénomène, pour uniquement laisser accroire qu’ils vont les estomper par des décisions réputées populaires. Absurde, mais facile. Débile, mais rassurant. Inutile, mais rentable. Comment débattre réellement des causes de ce constat sans remettre en cause le système social, et en suivant le système éducatif. Il est certain que sanctionner constitue toujours la solution la plus facile, plutôt que de prévenir ce qui constitue une erreur ne pouvant être sans raisons profondes. 1% des 3,25 millions de collégiens que compte la France seraient déscolarisés.
Selon une étude du ministère de l’Éducation nationale, 7 % des élèves des collèges et lycées publics ont été, en 2007-2008, en situation d’absentéisme scolaire, soit plus de quatre demi-journées d’absence non justifiées par mois. Ce « décrochage » est plus élevé dans les lycées professionnels (15 %) que dans les lycées (6 %) et les collèges (3 %). C’est strictement statistique, et à aucun moment on ne trouve une explication réelle à ces pourcentages. Dans bien des cas, les données familiales expliquent ce manque de repères. Dans d’autres, le système lui-même génère ses rejets après ce que l’on peut considérer comme des erreurs de « greffe » appelée officiellement « orientation ». Le décrochage scolaire mériterait un véritable débat, mettant en cause la place de l’école au sens large du terme dans un contexte où il ne lui appartient plus de compenser les pires défaillances sociales.
Historiquement, l’absentéisme a été vécu en France, étant donné l’affirmation du droit à l’éducation et la mission de l’école de la République, comme un phénomène peu important. Il était souvent comptabilisé, pour des raisons juridiques de responsabilité de l’institution, la question étant : si l’élève était victime d’un accident ou s’il était auteur d’un incident, qui était responsable ? Je me souviens du cahier d’appel matinal, avec les croix qui traduisaient simplement un constat d’absence. Lors des inspections, le visiteur vérifiait d’ailleurs la tenue de ce registre et faisait des remarques sur le taux d’absentéisme. Il fallait dégager sa responsabilité. Or, un élève présent physiquement peut être absent moralement ! S’il est à l’intérieur de l’établissement scolaire, évidemment, là on est dans un système juridique très précis ; s’il est en dehors de l’établissement scolaire, alors qu’il devrait être dedans, que faisons-nous ? En fait, dans ces cas là, on se contente de comptabiliser mais sans jamais expliquer.
On s’est aussi aperçu que l’absentéisme pouvait être la traduction d’un problème de la relation des jeunes à la culture scolaire, à l’école, aux apprentissages. Être absent souvent, volontairement, est en fait une prise de distance à l’égard de l’école. J’ai en mémoire une étude qui avait été effectuée sur un secteur de l’agglomération lilloise et qui démontrait que des milliers d’enfants entrant au CP n’avaient jamais vu leurs parents partir au travail. Il existe d’ailleurs un sketch de Muriel Robin que j’ai longtemps cru inspiré de cette situation. L’absentéisme prend appui sur une perception de l’école, une perception de certains enseignements, avec la communauté scolaire qui amène, par des étapes douloureuses, à des ruptures progressives avec ce qui demeure une institution. Le lieu est bien pour les autres, mais pas pour eux. : « moi, ça n’a pas marché pour moi, mais c’est bien » . Ils ne veulent pas la suppression de l’école, ils n’ont pas un discours globalement négatif sur l’école. Mais ils disent : : « ce n’était pas pour moi » et en tirent les conséquences, confortés par les échecs de leurs propres parents ou par ceux de leurs proches. La violence intra-familiale n’arrange pas les choses, mais la réponse est toujours la même : « ça ne nous regarde pas ! » Et pourtant j’apprenais beaucoup plus sur mes élèves en allant le soir boire un demi au café, au cœur du village, qu’en mettant un zéro pour devoir non fait ! La taille des établissements, le fait que la majorité des enseignants n’a plus de présence « extra-scolaire » (le militantisme associatif n’existe plus chez la très grande majorité d’entre eux) amplifie ce sentiment d’entrer sur une planète étrangère aux préoccupations quotidiennes.
Les élus UMP ne peuvent pas comprendre que l’absentéisme est majoritairement un processus lent, progressif, mais surtout pas une lubie révolutionnaire ou une marque de fainéantise. Il révèle la plupart du temps un cumul de ruptures : ruptures dans la vie personnelle et familiale avec une scission dans la filiation, avec un éclatement de la cellule familiale, avec parfois aussi des conséquences tout à fait négatives de décisions de justice, avec par exemple le fait que le juge n’a pas vu, en décidant d’une garde alternée, que les parents n’habitaient pas de façon équidistante de l’école, avec dans chaque logement une… chambre pour le jeune… Le gamin ou l’adolescent cherche quelque part à se marginaliser, à punir ses parents de décisions qui lui pèsent. Il se met en échec pour accentuer la rupture.
Savent-ils ces parlementaires déconnectés de la réalité que certains des jeunes, isolés en milieu rural, dénués de tout transport en commun, prennent parfois des distances avec l’école parce qu’ils ne peuvent pas arriver à l’heure (où sont passés les internats ?), car ils doivent emprunter divers moyens de locomotion avant d’arriver au lycée… ? Il existe aussi des jeunes qui dorment dans des voitures, chez des copains, où ils peuvent…. Ces situations sont ignorées de l’école, qui se contente de constater. Or ce sont des situations de souffrance qui pèsent sur le comportement de celle ou celui qui les vit.
Les députés UMP, dans leur grande sagesse, inspirée de leur expérience, ont souhaité accentuer les sanctions reposant sur une suspension des allocations familiales. Le président Nicolas Sarkozy, qui a évoqué ce sujet décisif pour notre situation économique, sociale et financière, a souhaité, début mai, que ce dispositif de suspension des allocations familiales soit applicable dès la rentrée prochaine. On exécute bêtement.
La proposition actuelle prévoit, « après un premier avertissement », la « suspension immédiate » de la part d’allocations familiales versée pour l’enfant absentéiste. Le versement sera rétabli lorsque « l’assiduité de l’enfant » aura pu être constatée pendant une période d’un mois. Et ce rétablissement sera « rétroactif » sauf si, depuis l’absence ayant donné lieu à la suspension, l’élève a été à nouveau absent « au moins quatre demi-journées ». Ouf ! le problème sera réglé…et les enseignants auront face à eux des enfants réceptifs et motivés qui amélioreront le climat général de la classe et de l’établissement. Tenez, il paraît que les députés vont s’inspirer de leurs débats pour régler le problème de l’absentéisme dans leurs rangs !
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Mais qui donc est cet homme politique, qui a toute la confiance du Président de la République, et qui lui a soufflé cette idée brillante de supprimer ou réduire les allocations familiales versées à une famille en cas d’absentéisme d’un enfant scolarisé ? Si je ne me trompes, il s’appelle Christian Estrosi, Maire de Nice, et ministre de l’industrie, le même qui a laissé au Lycée du Parc Impérial, à Nice, où il a été brièvement scolarisé (jusqu’en 3ème, je crois) le souvenir impérissable d’un cancre comme le lycée en a rarement connu !!! Il s’est élancé sur sa moto (d’où son surnom de « motodidacte ») où il a mieux réussi qu’au lycée, en attendant de devenir ce que l’on a appelé à Nice un « bébé Médecin »….en référence à son maître en politique, Jacques Médecin.
Quelles références …
PS. Le projet de loi en cause, qui sera débattu demain à l’Assemblée Nationale, est le « projet Ciotti », du nom du député des Alpes Maritimes qui a succédé à Estrosi, à l’Assemblée et à la Présidence du Conseil Général des Alpes Maritimes, et qui constitue son clône parfait !
Que du beau linge en somme!! Merci de ces précisions Annie, on mesure mieux l’empathie des ministres avec les populations dont ils ont à gérer les problèmes; et comprend mieux de ce fait l’intelligence et l’efficacité de leurs actions!!