Il arrive souvent, en écrivant une chronique, que je sois pris par le doute. Est-ce que je n’exagère pas un peu ? Est-ce que mes analyses ne sont pas parfois superficielles ? Suis-je certain de la construction des argumentaires ? Puis-je faire confiance aux informations que je glane via le net ? J’hésite sur les réponses car, souvent, mes écrits ne provoquent aucune réaction et tombent dans le vide sidéral de l’indifférence. Entre 2000 et 3000 personnes passent sur les deux textes quotidiens sans parfois une seule prise de position. C’est tellement inquiétant que je me pose véritablement la question de savoir si je poursuis ce travail quotidien qui me vole une partie de mon sommeil. En fait, chaque fois, je me console en me disant que rien ne serait pire que le silence et que, dans le fond, c’est probablement ceux qui osent parler qui gênent le plus. même s’ils sont de moins en moins nombreuxS’en persuader prend parfois du temps et de l’énergie. Il m’arrive très souvent de ne pas oser « la ramener », car j’ai l’impression de devenir un donneur de leçons de la pire espèce.
Je me mure, à mon tour, dans le silence, tant j’ai peur d’être à côté de la plaque tellement les discours sont stéréotypés ou véritablement décalés. Je suis stupéfait de constater que certains découvrent le fil à couper le beurre, ou au contraire prennent pour argent comptant des poncifs colportés par des médias simplificateurs à l’extrême. Le monde de la sur-information ne permet plus de discerner les éléments les plus importants et, en fait, la sous information a pris le dessus. Apparaître comme un « je sais tout » n’apporte aucune estime. Bien au contraire. Il vaut mieux souvent la boucler et avaler sa salive que s’exprimer. Ce n’est qu’avec le temps et l’expérience qu’on mesure la valeur de se positionner : savoir se taire reste la règle d’or de la vie publique.
En effet, toute expression construite soulève immédiatement des interprétations faciles. Il existe une catégorie de personnes, en général muettes, qui imaginent aussitôt une volonté de paraître, d’exister, de se promouvoir dans l’exercice de la parole. Tenez, en session publique du Conseil général, intervenir sur un dossier est aussitôt interprété comme la mise en évidence d’une ambition personnelle démesurée. Il faut rester indifférent au débat pour vivre son mandat paisiblement. La politique repose également sur le silence, très apprécié car il permet de terminer les réunions plus rapidement, ce qui est appréciable. Écrire, c’est pire, car il reste une trace de ce que l’on a pu penser. On déteste les personnes qui écrivent car elles prennent date, pouvant sortir, à tout moment la preuve de leur engagement. Alors, tout concourt à ce que l’indifférence soit devenue l’attitude du monde la plus partagée. De moins en moins de monde s’indigne. De moins en moins de monde se détourne de son parcours personnel. De moins en moins de monde, autour de moi, prend des risques avec son avenir.
D’ailleurs, malheur à celles et ceux qui tentent une saillie, comme par exemple l’a fait Martine Aubry en comparant le chef de l’État ,français à Madoff ! Elle reçoit une volée de bois UMP. Logique. Elle est alors achevée par des bonnes âmes de son propre camp ! Qu’elle la ferme, car elle gâte la tranquillité des égocentriques prêts à confondre «courtoisie » et « langue de bois ». En définitive, elle aurait mieux fait de comparer Nicolas Sarkozy à la fée Carabosse, car la France actuelle préfère les contes de fées aux romans noirs.
Ce comportement conduit lentement la démocratie à sa perte. La lutte des classes n’a jamais eu autant de sens, mais il ne faut plus l’évoquer, car ça fait archaïque. L’escroquerie officielle s’étale au grand jour, mais il est impossible d’en parler car on risque un sérieux retour de bâton. L’arnaque des effets d’annonce se transforme en cataclysme, mais il vaut mieux ouvrir son parapluie pour tenter de s’abriter. Réagir devient agressif. Se soumettre devient un signe de tolérance. Dénoncer relève de la provocation. Accepter signifie que l’on est raisonnable. Notre société est de plus en plus loin du vers de Victor Hugo : « ceux qui vivent sont ceux qui luttent! ». Mieux, elle lui tourne résolument le dos !
Au premier abord l’indifférence semble indiquer seulement un manque : c’est l’état de celui qui n’éprouve ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte. L’indifférence ne serait qu’insensibilité, incapacité à aimer, qui confinerait à l’anorexie et à l’apathie. On voit toujours dans l’attitude de l’indifférence le signe d’un rapport difficile avec la… différence : une incapacité à changer, à se laisser changer par l’émotion, mais aussi la négation de la différence, l’enfermement sur soi. Indifférence et égocentrisme seraient donc liés. Il est facile de nier la différence car c’est plus paisible à vivre que d’affronter la réalité des divergences. Ce contenter de prêter aux autres les sentiments que l’on éprouve mais que l’on n’a pas le courage de formuler donne un confort intellectuel particulièrement agréable.
La vie sociale française se sclérose, se transforme en eau de boudin. Dans n’importe quel débat télévisé, le moindre mot un peu haut devient un dérapage. La violence s’installe dans le silence mais jamais dans l’affrontement verbal. Elle se construit autour du refus d’expression ou de l’impossibilité d’expression. Le problème, c’est que celle des mots tue plus rarement que celle des actes. Lentement, nous dérivons vers la seconde formule puisque le débat n’existe plus, ou quand il existe, il est immédiatement interprété comme une forme indigne de la démocratie. Mon grand-père Abel, le « maçon rouge » me contait ses expéditions, sous les préaux des écoles, lors des campagnes électorales, pour aller apporter la contradiction aux candidats qu’il haïssait… Ca castagnait souvent, mais, au moins, il avait le sentiment d’avoir été à la hauteur de ses idées. Moi-aussi !
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Est-ce une du courage, Monsieur, qui vous pousse à ce travail journalier d’expression? Est-ce une utopie?…
Vous rêvez, semble-t-il, ou espérez pour le moins, que vos contemporains prendront part à la lutte. Sans aller jusqu’à « la lutte finale », il s’agit pourtant d’humanisme…
Et je dois vous avouez que votre engagement me rassure… On se sent moins seul, n’est-ce-pas? … Toutefois le bien fondé des valeurs et avantages péniblement obtenus au détriment des privilèges est-il certain? Dans notre monde dominé violemment par l’avidité des puissants et la famine du plus grand nombre que peut-on espérer au fond? Si ce n’est tout recommencer à zéro depuis la prise de la Bastille !…
Le courage nous manquera peut-être à vous suivre, mais sachez, Monsieur, l’espoir secret que vous faîtes renaitre chaque jour dans le coeur des silencieux…
Ce qui nous rend vivant !
Ceux qui te lisent régulièrement soit pour apprécier soit pour critiquer ne sont donc pas indifférents et sont nombreux!
toutefois, tu déranges car tu as trop souvent raison et tu apparais comme un donneur de leçons. Continue seulement si cela ne nuit pas à ta santé et à ta vie familiale car tu nous es utile.
Tu es le maître à penser des simples mais vrais.
Mais que faire pour secouer tout ce monde d’indifférence? Nous ne savons pas…et nous lisons vos chroniques qui réflètent si bien ce que nous pensons! Espèrons qu’un jour, nous reviendrons à des valeurs que nous défendons, et qui commencent à manquer cruellement.
Je vous lis souvent, je ne suis pas indifférent, loin de là, seulement parfois le temps me manque d’écrire ce que j’ai ressenti, et aussi il faut le dire souvent j’ai beaucoup de paresse en moi… Mais merci pour vos articles si souvent pénétrants.
Vous ne trompez personne sur votre engagement ..impossible de penser autrement ou alors le monde est au 3/4 FOU SANS RETOUR EN ARRIÈRE. QUE VOUS RÉPONDRE PUISQUE NOUS SAVONS QUE NOUS PENSONS LA MEME CHOSE… QUE DIRE DE PLUS OUI Jean Marie vous avez raison:: oui ne baissez surtout pas les bras ..mais protégez votre santé et votre famille …Surtout n’arrêtez pas de nous avec toutes ces vérités qui font bondir et frémir pour l’avenir ..
il est exa
suite et fin….. il est exact que peu de personnes politiques engagées et connues viennent vous donner la main.. encore la tranquillité de la vie …du mandat …du sommeil!!mais les lecteurs lisent vos écrits beaucoup plus loin que dans la 9 éme circonscription.Cette indifférence devient lamentable et grave ! Pendant ce temps la maladie continue d’avancer …NOTRE PARTI , SES associes , les gens de gauche ..ne peuvent vraiment rien faire !! <<on ne fait pas d'omelettes sans casser d'oeufs …le résultat sera le même en restant inerte !!je préfère depuis 2 ans avoir un cancer que je soigne mais je sais ce que j'ai..mais rester indifférente devant la perte de nos valeurs , de nos acquis …pour tomber au mains de charognards épris comme des chercheurs d'or ; je serai la première sur les barricades pour mes petits enfants comme mon grand père et mon père l'ont fait en 14/18 39/40.
Ne sois pas pris par le doute : tu n’exagères pas, tes analyses ne sont jamais superficielles, et tes informations sont toujours bien choisies ! Nombreux sont ceux qui se précipitent, chaque jour, sur tes chroniques, et qui seraient bien privés si elles n’étaient pas au rendez-vous….Ils ne mettent pas toujours un commentaire ? Ne crois pas que ce soit par indifférence… C’est plus souvent par paresse, ou parce qu’ils ont eux-mêmes de nombreuses activités et contraintes, ou parce qu’ils sont âgés et hésitent à se battre avec leur ordinateur…Mais la plupart se réjouissent de trouver dans ce que tu écris ce qu’ils aimeraient exprimer eux-mêmes.
Heureusement qu’il y a des gens comme toi pour « secouer le cocotier » et réveiller ceux qui, découragés, seraient tentés de s’endormir. Tu nous encourages à ne pas rester silencieux, à ne pas subir passivement, et si tu n’en entraînes que quelques uns dans ton sillage, sois persuadé que c’est déjà beaucoup, et même essentiel.
Oui, Victor Hugo avait raison : « ceux qui vivent sont ceux qui luttent » et en nous incitant à lutter, tu nous aides à vivre. Ne te décourage pas, continue tant que tu le pourras. Nous avons besoin de savoir qu’il y en a qui lutteront toujours et que nous accompagnerons dans leurs luttes.
Les plus anciens d’entre nous ont eu, comme toi, un grand père Abel, qui s’impliquait dans ce que l’on n’hésitait pas alors à appeler « la lutte des classes ». Ils se sont battus pour plus de justice sociale, pour plus d’égalité, pour plus de solidarité, pour tout ce que ceux qui nous gouvernent aujourd’hui s’emploient à détruire…. Le mien s’appelait Camille, et je pense souvent à lui !
Ne baisse pas les bras Jean Marie, beaucoup te lisent et t’apprécient, en ce qui me concerne, outre que tes prises de position correspondent à de la lucidité et du bon sens et permettent à chacun de tes lecteurs de ne pas « s’endormir », nombre de tes chroniques sont réacheminées bien au delà de la Gironde.
Je confirme ce que dit Annie PIETRI, tes chroniques, nous les attendons avec impatience
Je conçois volontiers qu’il est frustrant de ne pas avoir plus de réactions en ligne, je vais faire un parallèle, quand je vois que dans ma modeste commune, mes petites « provocations » dans la feuille de choux quasi trimestrielle visant à « secouer » mes concitoyens sur les sujets qui nous préoccupent et qui ne les font même pas réagir, j’ai les mêmes doutes .. dois-je continuer à tenter de les intéresser aux problèmes de notre société ?? oui, cent fois oui ! énorme différence que sont nos médias, tu « balances » deux fois par jour et moi quatre à six fois par an … et bien souvent je me dis que si tes journées sont bien pleines, tes nuits doivent être bien courtes ..
J’ai compris que dans une autre vie tu avais été enseignant (ou dans l’enseignement), ce doit être ta vocation que « d’expliquer aux autres ».
Avec mes amitiés
Jean NOUVEL
Bon, « je » prends la parole..c’est bien parce que vous insistez et parce que lorsqu’on est timide à l’oral l’écrit est plus aisé..cette histoire d’indifférence ça me fait penser à un propos de François Mitterand qui ne m’avait pas laissé indifferent qui disait en gros que pour gouverner il fallait avoir « la passion de l’indifférence »…Cornélius Castoriasis, philosophe disparu récemment,lui fustige « l’insignifiance », le manque de sens, notamment dans les propos des politiques.Question: Cette « insignifiance » ne serait-elle pas responsable de notre indifférence (à moins que ce ne soit l’inverse)?
Pour ce qui est de la « castagne »verbale ou physique, je pense qu’elle procure une forme de plaisir physique à ceux qui la pratique,un défouloir souvent salutaire pour la personne qui l’exerce et qu’elle n’est pas physiquement possible pour tout le monde.A voir ou revoir le film « mon oncle d’amérique » d’Alain Resnais d’aprés les travaux de Henri Laborit où il est question des comportements entre dominants et dominés…
Bonjour ,
Il y a absolument toutes les réponses aux questions que l’ont se pose à propos
de cette société en naufrage .
Tous vos écrits sont une bouée de sauvetage afin d’y voir plus nettement.
Je consulte tout le temps vos textes qui
apportent souvent ce qui nous manque dans nos repères parfois perdus .
Un très grand merci pour vous , bravo
et continuez de nous éclairer .
Bonjour Jean-Marie,
Je confirme l’avis général, continue tes chroniques qui, grâce au « net » débordent largement les frontières girondines.
La communication, dit-on, c’est 20 % de parole et 80 % de « gestuelle », je ne suis pas sûr des chiffres mais sans doute guère loin de la vérité, donc pour se faire une opinion de l’honneteté de ceux qui nous gouvernent il suffit de couper le son lors d’une allocution de notre nain national, mathématiquement on ne devrait perdre que 20 % d’information, encore que ces 20 % là sont à mettre entre guillemets !
Tout ceci pour dire que les 80 % restants sont édifiants c’est une expérience à faire, je ne rigole pas !
Pour en revenir à la léthargie générale, pour les retraites, à Clermont-Ferrand, ils étaient 4000 place de Jaude…. Et 40 000 sur la même place pour la victoire de l’ASM, à ton avis qu’en ont pensé Sarkozy et Hortefeux ?
Ils nous prennent pour des « benets », mais ils le font d’une manière tellement conne (c’est le seul mot que j’ai trouvé !) tellement conne, disais-je, qu’ils finiront bien par se planter !
Courage et Amitiés.
Je ne suis pas dans votre circonscription, je ne suis pas dans votre mouvement, mais je vous lis quasiment tous les jours, et, presque à chaque fois, j’ai envie de partager vos écrits avec le plus grand nombre.
Votre voix comptera de plus en plus, espérons le.
Eric BELET
« Quiconque écrit s’engage »
J’ai donné un sens à mon engagement à travers vos écrits.