Il y a exactement 65 ans, le Maréchal de Lattre de Tassigny signait au nom de la France, retrouvée dans sa dignité et son unité, le traité qui mettait fin à probablement la plus honteuse et la plus terrible période du XX° siècle. Cet acte symbolique, auquel, il faut le rappeler, les vainqueurs du plus sanglant conflit mondial de l’histoire de l’humanité n’avaient pas souhaité associer notre pays, allait bien au-delà des textes marquant la fin d’un conflit. Il espérait détruire la bête immonde de la haine, du racisme, des crimes organisés pour détruire enfants, femmes et hommes de tous les âges. Le monde hébété découvrait jusqu’où l’Homme, dans son sens générique, pouvait devenir un loup pour les autres hommes. Il s’étonnait que derrière les mots les plus odieux, parfois applaudis à tout rompre par les tenants des opinions dominantes qui anesthésiaient les consciences, il y avait eu l’horreur absolue des déportations, des exterminations, des destructions planifiées. Ces chefs d’État, ces généraux, ne pensaient pas que le chiendent des idées les plus honteuses repousseraient éternellement à la surface de notre planète. Ils n’osaient pas penser que les justiciers de ce jour de gloire seraient un jour les bourreaux de lendemains qui déchanteraient.
Il y a un tout petit peu plus d’un mois, sur un lit de l’hôpital public d’Aubenas, mourait Jean Ferrat. Personne n’avait prévu d’obsèques nationales pour lui, qui avait pourtant si bien chanté la passion, l’amour, la peine et la simplicité des femmes et des hommes du peuple français. Il avait traversé cette guerre, et en avait été profondément marqué comme des milliers d’enfants de cette époque, dont certains d’entre vous, peut-être, ont été. Ce chanteur avait été imprégné à vie par l’occupation allemande. Il avait à peine onze ans lorsque son père, juif non pratiquant, avait été enlevé aux siens, séquestré à Drancy, puis déporté le 30 septembre 1942 à Autchwitz, dans le cadre de ce que certains Français appelaient alors la solution finale. Il évoque d’ailleurs cet enlèvement dans la chanson « Nul ne guérit de son enfance ».
Je crois que plus que tout, il résume dans cette œuvre dont chaque parole est, à elle seule, une larme versée sur des moments tendres ou terribles ce qu’a été la guerre 39-45 pour les familles. Je ne vous citerai que ce couplet, afin de résumer ce qu’ont pu être les conséquences d’idées colportées par des bourreaux de la République et de ses principes.
Le vent violent de l’histoire
Allait disperser à vau-l’eau
Notre jeunesse dérisoire
Changer nos rires en sanglots
Amour orange amour amer
L’image d’un père évanouie
Qui disparut avec la guerre
Renaît d’une force inouïe
Nul ne guérit de son enfance
Celui qui vient à disparaître
Pourquoi l’a-t-on quitté des yeux
On fait un signe à la fenêtre
Sans savoir que c’est un adieu
Chacun de nous a son histoire
Et dans notre cœur à l’affût
Le va-et-vient de la mémoire…
Ouvre et déchire ce qu’il fut…
La guerre, c’est d’abord et surtout une immense déchirure qui partage les pays. Le nôtre fut lentement gangréné, après avoir été blessé par des principes n’ayant plus rien à voir avec ceux qui avaient été hérités du siècle des Lumières. Il avait plongé dans le nuit et le brouillard de l’ignominie, faite de larmes, de misère, de déchéance et de mort.
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chères et chers amis, en ce 8 mai 2010, à peine quelques jours après que la télévision ait montré qu’ils existait encore dans notre environnement proche, dans notre quotidien, des porteurs de ce virus dévastateur des esprits, je tiens, au nom de l’équipe municipale, à vous remercier chaleureusement d’avoir compris que seule la solidarité dans la défense de la dignité humaine nous sauvera d’un naufrage.
La guerre a revêtu d’autres oripeaux de la légitimité, mais elle reste la guerre avec ses cortèges d’horreurs, avec ses victimes innocentes, avec ses angoisses et ses terreurs.
Je vous remercie d’avoir compris que la mémoire se perd aussi facilement que les feuilles mortes emportées par le vent mauvais des certitudes. Nous devons, les uns et les autres, sans cesse nous battre contre la bête immonde dont le ventre est encore insidieusement fécond. Dans notre quotidien, certaines déclarations, certaines attitudes, certaines préoccupations, constituent les germes des catastrophes de demain. On ne joue pas sans risques, pour des questions purement politiciennes, avec l’exclusion, avec la haine larvée, avec la négation de la dignité humaine.
Permettez moi, pour conclure ces propos, de vous rappeler un autre passage d’une chanson de Jean Ferrat, qui pourrait utilement être apprise dans les écoles, les collèges ou les lycées de notre pays. Il résume parfaitement ce sentiment que nous partageons aujourd’hui. Dans Nuit et Brouillard, un autre moment d’humilité et de recueillement pour celles et ceux qui ont payé de leur vie, on retrouve les réalités de ces heures tragiques :
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été (…)
La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs
Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir..
Je vous demande à toutes et à tous de distiller autour de vous la promesse d’un monde meilleur, un monde qui n’aurait plus à souffrir de la haine, du racisme, de la loi du profit, et plus encore de l’indifférence, qui transforme l’or de la raison en plomb de la bêtise. Les citoyennes et les citoyens que nous sommes, et que nous devons être, ne peuvent pas oublier le 8 mai 1945, au moment où un vent mauvais souffle sur cette Europe, tourmentée par une nouvelle forme de guerre qui s’appelle la spéculation financière, cette Europe où les charters ont remplacé les wagons plombés; les campements incertains existent, la pénurie est revenue…
Impossible d’oublier où la crise de 1929 a mené notre monde. Impossible de ne pas revendiquer en cette journée que l’égalité, la fraternité, et surtout la liberté réelle de vivre sur une planète protégée, retrouvent une jeunesse qui leur a tant fait défaut depuis quelques années.
Soyons fiers et heureux de vivre ensemble. Gardons la force de construire notre avenir ensemble. Soyons rassurés par notre capacité à rester les jardiniers de la mémoire de la France. Depuis plusieurs jours, nous en avons plus que jamais besoin, en ayant confié au monde du profit, la gestion de la vie des hommes. Cette Europe folle a perdu le chemin de l’espoir, elle vit désormais dans la crainte, et nous savons les uns et les autres que cette voie ne peut que nous conduire vers l’inconnu et ses incertitudes.
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Merci pour ce très bel article…Hélas, à l’inverse de Johnny, Jean Ferrat ne faisait pas parti des amis de l’occupant de l’élysée!!!! amicales salutations
Total respect Monsieur Darmian
Beau billet d’humeur…Quant au décès de Monsieur Jean Ferrat on a dit tout est n’importe quoi! qu’il était staliniste et avait aprouvé l’envahissement de la tchécoslovaquie ‘ 1968 ) par les troupes de l’URSS. Alors qu’il a ét l’un des premiers à dénoncer le fait et prendre ses distances avec le parti communiste français. Au passage, signalons qu’il n’a jamis été carté au p.C !
Merci de cette belle lecture
A++++c
Vendredi soir, un autre grand poète est venu à la « rencontre du peuple du bord de l’eau et de ses environs ».
Jacques Higelin nous fit remarquer que la Terre est ni trop près du Soleil pour ne pas se brûler, ni trop loin dans la Galaxie pour ne pas se les geler.
Et qu’il y avait suffisamment de catastrophes naturelles pour que les êtres humains en rajoutent d’encore plus graves ! Le grand Jacques venait de nous parler du volcan islandais Eyjafjallajökull : « vous savez l’Islande dont personne ne se souciait avant la crise financière et ces fameux nuages ».
l’occupant de l’élysée !!!!!!
Que la formule est juste ! Et nous ramène, en ces moments de commémoration du huit mai 1945, grand jour d’espoir (vite déçu), à d’autres temps qui font froid dans le dos.