La pression du quotidien devient le premier handicap des élus qui s’investissent à fond dans les fonctions que leur ont confiées les citoyennes et les citoyens. Elle finit par occulter la réalité et par fausser les jugements, car l’angoisse qu’elle génère ne permet plus de prendre le recul nécessaire à toute décision. Donner du temps au temps, oser se confronter à une réalité totalement différente de celle que l’on croit dominer, devraient s’imposer afin de ramener à la modestie et, au minimum, au doute. On n’apprend que dans l’anonymat bienfaisant, dans le contact direct, dans la partage d’une autre vision sociale, et on ne se conforte pas nécessairement dans la vie clanique, dans le débat interne, dans les réunions administrativo-consensuelles.
Se rendre, par exemple, à Londres, face à quelques dizaines de journalistes, pour tenter de « vendre » la Gironde, offre une authentique évaluation de ce que l’on pense porter avec conviction durant toute l’année. Vivre dans une métropole, en n’étant rien d’autre qu’une fourmi supplémentaire, offre un regard différent sur cette France qui prétend donner des leçons au monde entier. En fait, j’ai trouvé dans cette mission très courte, ce qui me convient le mieux depuis très longtemps : observer, écouter, apprendre ! J’adore cette situation, que je pratique de plus en plus, tellement le flot informatif masque tout ce qui se passe dans les arrières boutiques de la vie. Se promener dans une station de métro, aller boire une pinte dans un pub, lire toutes les cartes des restaurants, regarder les prix dans les vitrines, entamer une discussion autour d’un café, vaut largement toutes les études sur la situation d’un pays.
Accompagné de représentants des producteurs de Bordeaux Supérieur et de ceux des Logis de Gironde (Hôtels et restaurants de qualité), il appartenait au Comité Départemental du Tourisme de s’inclure dans une opération de communication, montée par la structure nationale Atout France, sur Londres. En résumé, l’objectif était on ne peut plus clair : redonner aux médias et aux professionnels de l’organisation touristique le goût de venir « vendanger » la qualité de vivre en Aquitaine. Force est de constater que c’est loin d’être gagné.
La tendance des derniers mois a en effet tout lieu d’inquiéter, puisque les Britanniques, victimes de l’effondrement de leur « Pound » historique, n’ont absolument plus les moyens de leurs ambitions. Ils rament à la recherche du temps perdu, et certains osent même, sacrilège insupportable, se plaindre que leur gouvernement n’ait pas rejoint la zone euro. Dévastée par le libéralisme intégriste du thatchérisme, la Grande Bretagne mesure maintenant les effets de la mort de la notion de service public.
« Vous savez, vous avez payé 130 euros votre billet d’avion aller-retour de British Airways, grâce à la concurrence féroce entre les compagnies aériennes, alors que moi, pour venir de Liverpool à votre réunion, les transports collectifs privés me coûtent 400 euros. Les privatisations non régulées ont fait s’envoler les tarifs (1) » m’expliquait un agent immobilier, gérant des milliers de locations de vacances privées en France. « Je dois effectuer mes réservations de semaines pour l’été 2010 sur Lège Cap-Ferret, sur la base d’un prix en euros, alors que j’ignore quel sera le niveau de la Livre au moment où je vais faire signer les contrats. L’an passé, j’ai perdu des millions sur la seule base des changes monétaires, puisque l’essentiel de mes clients choisissent le continent et que je ne peux plus revenir en arrière sur les tarifs annoncés dans les catalogues ». En fait, cet échange résumait parfaitement le contexte londonien dans lequel l’argent reste le repère essentiel. Londres, qui respirait le fric (Harods en est le temple), a peu à peu transformé ses rêves de profits en millions, en économies sur des shillings ou des pences ! Londres ne vit que parce que des milliers de personnes, arrivées des pays européens de l’Est ou de ceux du Commonwealth, en contrats précaires, tiennent tous les emplois basiques (serveurs, cuisiniers, réception des hôtels, ménage, services, voirie, manutention, BTP…) et font vivre une société virtuelle qui repose en grande partie sur les systèmes financiers, les matières premières et les échanges mondiaux. Et nous, avec nos kakémonos « Gironde » ou nos « gadgets », nous étions venus parler qualité, art de vivre, bonheur dans le pré, à des gens qui pensent prix, marges et concurrence.
« Pour nous, Bordeaux c’est le luxe ! » expliquait une journaliste spécialisée dans les reportages sur les destinations touristiques. « On présente les grands crus, les grands châteaux, les lieux prestigieux, et peu à peu, dans les esprits, s’est installée l’idée que chez vous, tout est cher ! ». Les bouteilles de Bordeaux supérieur ne figurent plus à la carte des restaurants populaires ou de masse. Dans les pubs, les femmes s’attablent devant un grand verre de blanc frais, récolté en Afrique du Sud, en Australie, et surtout au Chili. Sur les bouteilles de rouge, point de château mais des cépages et des marques italiennes, espagnoles, chiliennes (encore et toujours), voire américaines. Le Bordeaux, « réputé » trop onéreux en période de crise, a perdu un terrain considérable depuis une décennie (déjà -2,7 % entre 2007 et 2008). Tout est à reconstruire, sur la base d’une image différente, sur la base de valeurs différentes, sur la base d’une approche différente…ce qui nécessitera bien d’autres voyages.
« Bordeaux ? Bordeaux ? Je connais j’y suis allé, car j’ai loué une maison dans le 89 ! », commentait pour faire plaisir à son interlocuteur girondin, un journaliste qui était visiblement un ami du Beaujolais ! Et je ne vous dis pas où il situait la Gironde… Son Point G était visiblement ailleurs. Il y a du boulot à faire, encore beaucoup de dynamisme à insuffler, beaucoup de solidarité à construire, pour aller de l’avant dans cette jungle qu’est devenu un Royaume Uni qui cherche désespérément à faire croire que son avenir ressemble encore à son passé !
(1) Un ticket de métro en période d’affluence coûte 4 livres soit… 4,80 euros!
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On m’a toujours dit que les voyages forment la jeunesse….Tu en as une nouvelle fois fait l’expérience, et, comme tu as exercé, comme tu sais si bien le faire, et comme tu aimes tellement le faire, tes dons d’entomologiste, tu as pu constater que la France n’est plus, pour les anglais, le paradis qu’elle était !
Je garde le souvenir d’un de mes voyages Outre Manche alors que j’étais encore lycéenne….ce devait être dans les années 50, où le père de ma correspondante exigeait du vin à table parce qu’il accueillait une française….alors que je n’en buvais pas ! Sa femme m’avait dit malicieusement que ce n’était pas pour moi, mais pour se faire plaisir à lui-même….Et ce vin,tiré du fin fond de sa cave, c’était du Bordeaux….
Mais Mme Thatcher est passée par là, et la perfide Albion est tombée bien bas….Et la politique ultra libérale de ce cher Sarkozy nous fait prendre le même chemin !