L’escargot n’est vraiment pas l’animal terrestre le plus prestigieux. Laborieux, condamné à évoluer dans un monde hanté par la vitesse depuis ses origines, baveux, cornu, hermaphrodite et donc deux fois plus cocufiable (c’est la raison véritable de ses doubles cornes tactiles) et casanier au point de ne jamais quitter sa maison, il appartient à ce patrimoine quotidien que nous méprisons. Et pourtant, quel est l’enfant libre qui n’a pas un jour passé des heures à tenter de dompter une « cagouille » comme nous disons en bordelais ? Quel est celui qui n’a pas donné du temps au temps pour suivre le parcours plus ou moins incompréhensible d’un colimaçon ? Qui n’a jamais rêvé d’avoir un fier escargot aux traces argentées pour damer le pion à celui du copain, dont le coursier s’est égaré dans une direction tortueuse ? Qui n’a pas aimé ces soirées d’après orage où, la lampe torche à la main, il allait cueillir les gastéropodes en goguette le long des murs du cimetière ? Ces compagnons de l’enfance, supports d’un imaginaire fécond respirent la simplicité absolue, la modestie remarquable, la nature la plus humble et la fragilité absolue.
Massacrés par les merles moqueurs du temps des cerises, détruits par les jardiniers au coeur de laitue, écrasés par les véhicules méprisants, les escargots n’inspirent aucune indulgence. Capturés, ils sont en effet immédiatement mis en cage pour une condamnation au pain sec et à l’eau, destinés à les débarrasser de leurs scories repoussantes. Les « cagouilles », peureuses et résignées, se replient alors sur leur pesante demeure, afin de faire oublier la tristesse de leur devenir. Il leur arrive parfois que de fins gourmets confient au lait le soin de blanchir leur teint, mais cette coquetterie culinaire ne les empêchera nullement de finir dans une cassolette ou sur le gril du supplice. Lavés, relavés, vinaigrés, purgés, les escargots reviennent alors à leur funeste destin, qui les voit passer du statut de mets ayant traversé la nuit des temps à celui de plat typique.
La meilleure manière de tester la valeur des racines d’un convive, c’est en effet de le placer devant ces coquilles baignant dans une sauce rouge sang, à la Bordelaise. Reculer devant le boulot consistant à aller « déterrer » le cadavre d’un gastéropode avec la pointe d’une fourchette tordue sur place, c’est avouer que la terre n’a jamais véritablement collé à la semelle de ses sabots. Il faut aligner ou entasser comme autant de trophées arrachés à ses préjugés, un tas de coquilles vidées de leur contenu, pour affirmer son goût prononcé pour l’authenticité des plaisirs adultes de la table. Ce week-end, dans la cadre de Label fête sur Créon, nous allons tenter de revenir sur cette époque où le foie n’était pas encore gras, où les cerises étaient réservées à l’été naissant, et où les grands crus étaient ignorés du commun des buveurs.
L’escargot se méritait. L’escargot ne s’achetait pas. L’escargot participait à ces fêtes païennes entre amis heureux de partager la « récolte » patiemment accumulée et soigneusement protégée. Créon a connu, il y a un demi-siècle, ces moments collectifs autour des marmites parfumées dans lesquelles nul ne sait véritablement s’il préfère la sauce ou les bestioles qu’elle couvre. Des soirées empreintes de liberté et de joie de vivre, que la création de la « Confrérie de la Cagouille » (1) souhaite perpétuer, comme autant de repères dans une vie collective trop abstraite. L’escargot, symbole de la pérennité du lien social solide, patiemment construit, durable, doit faire son grand retour dans l’identité créonnaise. Le pari est osé, puisque la tendance conduit plutôt à l’aseptisation culinaire, à la standardisation des goûts, à la modernisation rationnelle des comportements gustatifs… mais il devient indispensable, pour éviter que le colimaçon ne soit considéré comme moins primordial dans la culture collective que l’ours blanc, la baleine à bosse, ou le panda géant. La « cagouille » a pourtant plus que jamais sa place dans une société pressée d’en finir avec ce qui ne sied plus au bon chic bon genre ambiant.
Un « chabrot » tiède, des confits de porc sous la graisse, des pommes de terre ayant oublié leur robe de chambre, des escargots s’entrechoquant dans une sauce à la chair à saucisse « tomatée », des œufs au plat allongés sur une tranche de jambon, des fromages qui puent ou une pomme sans fard, restent des privilèges hérités de la pauvreté. Impossible d’y goûter avec plaisir si l’on n’a pas traversé, le ventre creux, des soirées sans autre espoir que celui de voir apparaître un repas venu du quotidien.
Créon, ce week-end, enterrera ses feuilles mortes du temps passé avec des escargots. Selon Prévert ce sont les animaux les plus joyeux de la nature et ils redonneront vie aux quatre saisons du partage. Allez, je ne résiste pas au plaisir, suivez-moi :
A l’enterrement d’une feuille morte
Deux escargots s’en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s’en vont dans le soir
Un très beau soir d’automne
Hélas quand ils arrivent
C’est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes réssuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voila le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L’autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C’est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l’oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C’est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent a chanter
A chanter a tue-tête
La vrai chanson vivante
La chanson de l’été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C’est un très joli soir
Un joli soir d’été
Et les deux escargots
S’en retournent chez eux
Ils s’en vont très émus
Ils s’en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais la haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
(1) la cérémonie constitutive se déroulera le dimanche 8 novembre à 11 heures dans le cadre de « Label Fête » à Créon
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Très bel article une fois de plus!.
Dire simplement pour tous ceux qui vous lisent et qui ne sont pas forcément Créonnais qu’il n’y a pas qu’à Bordeaux que nous disons une « cagouille ».
Ce mot est cité par Cotgrave dans son dictionnaire de 1611 et attesté dans tous les dialectes du Centre, de l’Aunis, du Poitou et de la Gascogne. Son étymologie est un mélange de : conchylia (coquille) croisé avec : coccum (coque), latin vulgaire : caculca. Par métaphore, dans la marine ancienne, la cagouille était la volute qui servait d’ornement au haut de l’éperon des navires
Voilà une chronique savoureuse qui met l’eau à la bouche, en même temps qu’on se délecte à sa lecture….Et elle a fait remonter en moi de -très- vieux souvenirs de préparation et de dégustation de cagouilles (Jean Palacin a raison, nous disions aussi « cagouilles » en Touraine).
Durant la guerre,mon grand père cultivait un jardin dit « ouvrier » à proximité de Blois. Je me souviens, comme si c’était hier, de notre quête des escargots, après chaque averse. Et aussi de ma tristesse de voir ces pauvres bêtes, enfermées dans un vieux seau soigneusement recouvert pour qu »elles ne s’échappent pas ! Mais aussi de la joie que j’éprouvais lorsqu’il y en avait assez pour que nous ramenions le seau à la maison…Et quand ma grand mère les cuisinait ! La préparation était longue, mais elle y apportait le plus grand soin. C’étaient des « petits gris », et après cuisson, nous les sortions de leurs coquilles, délicatement, pour les remettre dans des coquilles d’escargots de Bourgogne, soigneusement conservées, dégustation après dégustation, par deux ou trois….On ne les cuisinait pas au vin, mais on remplissait chaque coquille d’une préparation faite de beurre (précieusement conservé à cet effet, sur la dotation mensuelle de nos cartes d’alimentation…) d’ail et de persil, que j’étais chargée de disposer, sans les renverser, sur la plaque de cuisson…La préparation et la dégustation de ces cagouilles étaient, en cette période de disette, une fête pour une enfant qui ne mesurait pas complètement ce qu’elles représentaient, mais qui les appréciait, oh combien !
Tu as raison, Jean Marie, c’était là un des régals des gens simples.
Aussi, je vous laisse imaginer mon enthousiasme à l’idée de participer à la création de cette « confrérie » demain…
Merci aussi pour ce très beau poème de Prévert : ce n’est pas si souvent que les escargots ont été célébrés par les poètes.
STi, jsons si voisin d’ocagouillard, qu’j’l’tions quasiment! nous aut d’o nord Gironde! ,
Asteur, j’son ben content qu’avian t’une bordées gens qui consacrant leur temps qu’étant si percieux, à zou galoper a vitesse raisoubnabe pour zou chasser thielles lles betes!
ET tho l’étaint t’une chasse durab (d’lapin dgarenne)parcequ’zou pouvait point z y faire en 4X4, pacifique, parcequ’esce pratiquian sans fusil, tetue, parcqu’o sffit rarement d’un seule avers’ pour zavoir son comptan,
méritante, parcqu’esce pratique sous l’onde et putot à la nui qu’au jour.
E t’une fois ramassées, fot ‘ete patient! Car thielles bétes, faut qu’el jeun, faut zou sortir la bave o vinaig et gros sel, zou cuisiner a chapti feu.
Et d’ou boun sauce, o l’est fait avec d’o lichées d’o camageot d’jambon, d’la sauce d’tomat trop mures, d’o gras d’goret en fin dés.
Et zou faire recuire thielle sauce à doux clapotis, avec d’o vrai soins por point z ou casser les bordures d' »au mariées » qu’o fait grincer les dents et souffrir d’o boyauds!
Boune confrérie, a costume de devantiaux putot qu’habit à collet!
Le gueurlet
Je suis cagouillard, de naissance, et en son temps je les ai pouchassées ces bêtes à cornes, avec ardeur. Comme disait un voisin à qui l’on demandait si la récolte était bonne : « Sûr ! et j’ai rammasé « rin » que des mâles ! »
A propos de l’étymologie de la cagouille, certains la font venir du latin « cuculum » qui signifierait, si je ne m’abuse : petit capuchon, ou quelque chose dans ce genre, par analogie avec son corps qui se « musse » dans sa coquille.
A noter que la cagouille lorsqu’elle monte au Nord, devient un « luma », lorsqu’elle arrive en Poitou.
A propos des plaisirs simples et inestimables que les ruraux modestes pouvaient s’offrir, il existe un vieux sketche de Fernand Raynaud « le cantonnier » qui raconte ça très bien.
Enfin, grâce à Jean Marie, à défaut de baver, « thiellés bêtes nous avant fait bavasser ! »