En pleine crise économique, sociale et même morale (dépression générale), le gouvernement, sur les instructions du Président de la République, se préoccupe essentiellement de savoir comment il peut maintenir sa main mise sur le pouvoir national. Cette volonté passe par des « réformes » diverses et variées ayant trait aux prochaines échéances électorales (suppression, par exemple, de 33 circonscriptions de députés dont… 20 sont socialistes). Elles sont toutes présentées comme des actes d’une grande modernité, ce qui permet de camoufler d’autres arrières-pensées bien moins avouables. Il suffit de mettre en place des techniques, bien rodées en matière de présentation médiatique de pseudo-objectifs destinés seulement à conforter l’opinion dominante très poujadiste, et le tour est joué. Peu importe si ces choix conduisent à terme à des désastres ultérieurs pour la démocratie.
D’abord, pour asseoir le pouvoir national lors des prochaines présidentielles et des prochaines législatives, il faut absolument détruire les échelons locaux, qui sont majoritairement dans l’opposition. Pour cela, il est devenu indispensable, au pire moment pour l’avenir du pays, de « casser » la décentralisation sans l’affronter en bloc. La fameuse réforme des collectivités territoriales n’a pas d’autre visée que celle de favoriser la reprise en main par l’Etat des rênes de la gouvernance globale. Les 20 régions socialistes, les 62 départements de gauche, les centaines de communes importantes, constituent beaucoup plus qu’un contre-pouvoir, c’est un « réseau de proximité » inquiétant pour les analystes proches de l’Elysée. Il faut donc absolument le plonger dans le doute dès 2011, en déstabilisant, avant de les évaporer, les diverses strates de collectivités locales, afin qu’avant 2012 le « réseau » commence à s’autodétruire.
Ensuite, en argumentant sur des économies « poujadistes » concernant le nombre des élus locaux (on diminue leur nombre mais on revalorise les indemnités de celles et ceux qui restent), la fusion de départements croupions et de régions fusionnées (le nombre de personnes affectées aux compétences réciproques ne diminuera absolument pas car il faudra continuer à palier les défaillances transférées de l’Etat), en concentrant la gestion sur des zones urbaines dont les ratios seront meilleurs (la ruralité, qui apporte via les cantons les majorités dans les conseils généraux disparaît de fait), on explique que si le citoyen est perdant, le contribuable y gagnera. Le rapport Balladur généralise aussi le système de la proportionnelle pour développer la professionnalisation de la représentation publique, et surtout se garde bien de formuler la moindre proposition sur le statut des élus travailleurs (temps accordé pour leur mandat, garantie d’emploi, cumul…). En jouant régions contre départements, communes contre intercommunalités, départements contre « métropoles », le gouvernement crée une inévitable zizanie dans le camp de l’opposition car, bien évidemment, chacun voit midi à sa porte… Il n’y aura donc pas de réplique solidaire !
Enfin, le principe global de l’opération Balladur consiste à simplement raréfier les tenants du pouvoir local, réduire leur force collective, les priver de leur impact de proximité sur les citoyens, détruire le réseau d’information qu’ils constituent individuellement face à la pression médiatique globale, garantir à certains d’entre eux une rente de situation, via la généralisation de la proportionnelle dans toutes les collectivités de + de 500 habitants. C’est particulièrement sensible en Gironde, avec la création de la « métropole bordelaise », dont les contours sont censés être fixés par la future loi. Il suffit pourtant de lire le blog d’Alain Juppé pour se persuader que les carottes sont cuites pour les communes du canton de Créon. Premier débat: » le périmètre de ces nouvelles métropoles. Prenons le cas de Bordeaux. Ce périmètre ne peut être celui de la CUB (la communauté urbaine actuelle avec ses 27 communes et ses 700 000 habitants environ). A la périphérie immédiate, plusieurs communes font en réalité partie de l’agglomération; elles profitent à plein des services offerts par la CUB (transports notamment) sans supporter la juste part des charges correspondantes. D’où leur réticence à entrer dans la CUB. Il faudra bien faire bouger les lignes pour donner à la nouvelle métropole la taille critique du million d’habitants. » La messe est dite sur la Rive Droite : au minimum, pour la totalité des communes des communautés des Portes de l’Entre Deux Mers, des Coteaux bordelais ou de Saint Loubés et peut-être, à un degré moindre, pour celles de la Communauté du Créonnais, elles seront noyées dans une nouvelle entité déconnectée du Conseil général ! D’autant qu’Alain Juppé, qui avait promis aux municipales de ne s’occuper que de Bordeaux, va retourner au gouver nement. Après la tentation de Venise, il est tenaille par celle de Bercy, ce qui lui permettra, à la rentrée, de bien ciseler le territoire qui pourrait permettre à ses troupes de reconquérir la future métropole et d’avoir enfin un espoir de chasser Philippe Madrelle de son fauteuil, incontesté par le suffrage universel, de patron de la Gironde ! Ce que les urnes n’ont pas permis, une bonne loi le fera ! Disparition de l’entité cantonale créonnaise, disparition des intercommunalités actuelles aux territoires pertinents, disparition des communes dont la taille ne leur permettra absolument pas de peser dans la métropole : la proximité n’y gagnera rien et les citoyennes et les citoyens n’en mesureront que trop tard les dégâts.
Malgré la présence de seulement une bonne cinquantaine de personnes au Conseil consultatif citoyen cantonal de vendredi soir, dont seulement 3… maires (Saint Léon, Saint Caprais de Bordeaux et Haux) et une demi-douzaine d’élus de Sadirac et Créon pour la présentation du rapport Balladur, espérons un réveil prochain de celles et ceux qui ont véritablement conscience des enjeux démocratiques.
En ce qui me concerne, si je ne nie absolument pas la nécessité de diminuer le nombre incroyable de syndicats intercommunaux (1) (qui ose le dire !), le besoin d’un véritable statut de l’élu favorisant l’émergence de gens issus du peuple et non pas d’une caste féodalisée, l’obligation de clarifier l’imposition locale (impôt territorialisé et généralisé), la clarification des compétences entre les niveaux, l’émergence de territoires pertinents, je refuserai avec l’opiniâtreté que l’on me connait, tout tripatouillage conjoncturel reposant sur des enjeux de pouvoir en 2014 ! Mais c’est mal parti !
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