SOLIDARITE BIEN ORDONNEE

Sun, 04 Dec 2005 02:06:00 +0000

La solidarité est un mot extrêmement moderne. Il n'y a pas 200 ans qu'il a fait son entrée dans le vocabulaire français. Léon Victor Auguste? Bourgeois, l'une des plus éminentes figures du Parti Radical de la Belle Epoque, a inventé, le premier, la théorie du  » solidarisme « , concept révolutionnaire d'alors, dans une société française qui, durant des siècles, n'avait connu que la charité,  » ce mot infâme  » selon Voltaire. Contre la pauvreté et la maladie, il n'y avait que la bonté du riche qui pouvait apporter une amélioration à un sort individuel défavorable.

Docteur en droit, Léon Bourgeois, appartient aux oubliés des livres d'Histoire. Entré dans l'administration préfectorale, il devient Préfet de police à 36 ans. Elu député radical de la Marne, il se consacre alors à la politique, ce qui va le mener à être plusieurs fois ministre de l'Intérieur, de l'Instruction Publique, de la Justice, puis il est nommé président du Conseil par Félix Faure en novembre 1895, avant d'occuper les postes de ministre des Affaires étrangères, ou du Travail et de la Prévoyance sociale au début du XX° siècle, pour terminer président du Sénat et de la Haute Cour de justice au soir de sa vie . En outre, il est l'un des pères de la Société des Nations (dont il est le premier président, à sa formation en 1919, ce qui lui vaut un prix Nobel de la Paix en 1920. Mais la grande ?uvre de ce grand érudit, franc-maçon éminent, c'est le  » solidarisme « .

REDEVABLE DE SA SITUATION AUX AUTRES.-
 La fréquence de l'usage actuel du terme « solidarité » ne doit pas, en effet, faire oublier le caractère relativement récent de son acception actuelle, puisque c'est seulement le Code civil de 1804 qui officialise le terme en énumérant dans le chapitre consacré aux obligations, les divers cas de solidarité entre créanciers et débiteurs. Pierre Leroux, qui deviendra  » socialiste précurseur « , a ensuite revendiqué, dès 1841 cette innovation terminologique : « J'ai le premier emprunté aux légistes le terme de solidarité pour l'introduire dans la philosophie… J'ai voulu remplacer la charité chrétienne par la solidarité humaine. »

Léon Bourgeois, bien avant lui, était parti du postulat qu'il existait des solidarités inévitables, issues de la division du travail, de l'hérédité, de l'histoire, ce qui le mène à affirmer que chacun est redevable de sa situation aux autres hommes, passés et présents, et plus généralement à la société qu'ils composent. « L'homme ne devient pas seulement au cours de sa vie débiteur de ses contemporains ; dès sa naissance, il est un obligé. L'homme naît débiteur de l'association humaine. »

Cette idée de « dette sociale » est bien la pierre angulaire du  » solidarisme « : l'homme se doit de restituer ce qu'il a reçu, sur une base contractuelle. Jusque-là, le pauvre ne pouvait prétendre à rien s’il était hors d’état de travailler, et si son entourage ne pouvait pas le nourrir. Le développement du libéralisme et des doctrines individualistes, réduisit souvent l’assistance publique à un mécanisme inhumain et humiliant, avec la création des « dépôts de mendicité » (1808). Ils sont de retour.

Peut-on assurer que nous ne sommes pas, en effet, revenus à la case départ de cette lutte historique ? Faudra-t-il qu'un Léon Bourgeois se lève, quelque part, pour que l'on relance la notion authentique de solidarité qui aurait dû depuis longtemps compléter  » liberté, égalité, fraternité « . En n'inscrivant pas ce mot complémentaire dans la vie de la République, on a ouvert la voie à tous les retours en arrière.

 

 

DES GENS CREVENT DEHORS.-
Le premier acte solidaire citoyen repose sur la participation financière à la vie collective : l'impôt. Taillé en pièces par tous les gouvernements, depuis deux décennies, au nom de l'efficacité économique, ce principe détruit une référence républicaine fondamentale. Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, est sans équivoque sur ce sujet :  » Le lien est sans doute exagéré. Mais le Parlement vient de voter un budget pour 2007 qui prévoit 3,6 milliards d'? d'allégements fiscaux destinés, pour l'essentiel, aux plus aisés, et un  » bouclier fiscal  » limitant la portée de l'impôt sur la fortune. Dans ce même budget, les crédits de la ville et du logement sont en baisse, quand ceux de la police augmentent. C'est insupportable ! S'il existait, en France, des politiques sociales de logement dignes de ce nom, moins de gens mourraient de froid. Des gens crèvent dehors et on donne 10 000 ? à des personnes qui en gagnent 20 000 ! Le gouvernement est fou ! Le décalage est tellement grand entre la réalité et les Ministères que c'est la démocratie tout entière qui en prend un grand coup. Tout cela fait monter le Front national… « .

Nul n'a plus pourtant le courage de clamer que, sans impôts, sans contribution sociale, il n'y aura plus de solidarité possible, et qu'une autre forme de la charité moyenâgeuse a un boulevard devant elle. Certes, elle est devenue collective, et se traduit par des initiatives médiatiques appelant à la  » contribution volontaire « . Faute d'avoir l'honnêteté de prélever sur les revenus financiers les sommes nécessaires à la recherche, à la lutte contre les maladies, à la nourriture des plus démunis, au logement des plus fragiles on joue sur l'affectif, sur la culpabilité, sur le spectacle, pour combler une flagrante insuffisance politique.

On pleure, on grogne, on conteste, par exemple, une augmentation en pourcentage des taux d'imposition locale du Conseil général, submergé par les dépenses solidaires de l'APA, le transfert du RMI, la sécurité aux biens et aux personnes? alors que l'on expédie des chèques tout au long de l'année vers des organismes caritatifs, des opérations captatrices d'une émotion enfouie, des appels poignants à l'aide, portés par des images. Les quelques ? refusés à l'impôt sont démultipliés par 10 en pièces jaunes ou en dons sonnants et trébuchants. Raffarin, était même allé jusqu'à rétablir la  » corvée  » du lundi de Pentecôte pour les salariés, avec le succès que l'on sait !

En matière de solidarité, je propose deux mesures immédiates évitant tous les appels en faveur de la recherche médicale : prendre un pourcentage sur tous les bénéfices que réaliseront lundi tous les vendeurs d'actions à la Bourse de Paris et d'y ajouter l'amende infligée aux opérateurs téléphoniques pour entente illicite?Vous verrez que ce ne sera pas trop mal comme résultat !

Mais je déblogue?

 

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