Fri, 28 Oct 2005 00:00:00 +0000
Tous les coups sont permis dans les mêlées socialistes précédant les Congrès. Depuis celui de Tours, les premières lignes peuvent se relever à tous moments et s'expédier, durant quelques minutes, les pires horions sous les yeux d'aucun arbitre, puisqu’il n'y en a plus. Les fourchettes dans les yeux, les effondrements prématurés, les coups de boule, les poussées de travers (depuis la droite ou la gauche) : rien n'est interdit.
Il existe pourtant une certaine confraternité entre les piliers, qui les conduit jusque-là le plus souvent, à se réconcilier par de longues nuits de troisième mi-temps. Certes l'eau minérale remplace le » jaune » ou le » rouge « , mais l'ambiance monte au fil des heures pour accoucher, dans un matin blafard, du fameux et inapplicable texte de synthèse. Et il fut jusque-là véritablement de synthèse, ce pensum, car arrivé de nulle part avec des produits préfabriqués, loin, très loin du naturel. Les » talonneurs » prennent, ces nuits là, toute leur importance dans ce ratissage des idées qu'ils expédient plus ou moins prestement vers les lignes arrières.
Il paraît que dans quelques semaines on oubliera cette tradition venue du Sud-Ouest. Le » test-match » du Mans n'aura plus rien à voir avec ceux qui l'ont précédé. Le » bourre-pif » prendra la place de l'arbitrage vidéo. La télé tiendra lieu de pelouse. Les réconciliations paraissent pour le moins incertaines. Les diverses étapes d’entraînement auront déjà laissé des traces sur les organismes.
Le moment essentiel d'un Congrès devient en effet, de plus en plus, celui de la publication des équipes. Dans le monde du football, les entraîneurs tiennent secrets, jusqu'au dernier moment, leurs choix. Ceux du PS n'hésitent pas à mettre le plus de joueurs possibles sur leur feuille de match pour peser sur le moral du camp opposé et ne pas se tromper. Les caractères gras indiquent les grands titulaires alors que les petits ne sont réservés qu'aux remplaçants éventuels, de telle manière que l'on puisse aligner de fortes équipes potentielles. Malheur à celui qui n'a pas de troupes à aligner au bas de son programme. Il part battu d'avance puisqu'on le suspecte de ne pas avoir les moyens d'imposer son choix tactique. Alors, on transfère une poignée de professionnels du dribble déroutant, on achète un ou deux espoirs, on échange des buteurs ou des récupérateurs, on ajoute aussi des » sans licence « , des » inédits « , ou des » non consentants « , afin d'impressionner les tacticiens adverses. Actuellement, la période est terminée. Les listes sont bloquées, photocopiées, archivées pour être ressorties le moment venu. Le devoir de mémoire ne s'applique pas qu'aux grandes causes. Il servira, après la bataille, pour désigner les victimes à présenter aux pelotons d'exécution ou pour récompenser les héros des barricades.
Plus on approche du grand rendez-vous officiel et plus les fleurets sont démouchetés. Discrètement, les armes sont aiguisées, et il y a intérêt à mettre un masque de protection. Sabre au clair pour les plus convaincus, épée académique pour les plus traditionnels, poignard dissimulé dans la chaussette pour les plus tordus : chacun a sa technique pour gagner un tournoi marqué par son intensité. Peu importe où vous touchez : l'essentiel réside dans le nombre de touches affichées et dans votre capacité à enchaîner les points gagnants. La particularité d'un Congrès c'est que ce qui devrait être un duel d'idées se transforme inexorablement en un affrontement fratricide de femmes ou d'hommes. Tout le monde sait pourtant qu'il n'y a jamais eu de véritables morts sur le tapis. Regardez Rocard il a échappé à toutes les blessures (même les pires : celles d'amour propre) pour se refaire une santé ou même, dans certaines occasions, pour ressusciter. Et Dieu sait si l’on a tiré sur lui dans tous les coins. Mieux, dans les matchs, il joue désormais les donneurs de leçons que, certes, plus grand monde prend au sérieux.
Le PS a aussi une spécialité dont il répète à l'envi la recette : mieux vaut parfois être dans un condiment d'appoint qu'un produit de base pléthorique. Vous êtes courtisé, récompensé, sélectionné beaucoup plus aisément, le moment venu, si vous avez su vous vendre efficacement. Le problème, c'est que la technique ne surprend plus et les ralliements se négocient avant et plus rarement après. Vincent Peillon l'a bien compris, lui qui sait qu'il pourra échanger son » partenariat » contre un fauteuil de Premier Secrétaire si tout se passe comme prévu. Il a fait de la Résistance productive malgré les pressions de son copain Montebourg.
Le Congrès s'apparente aussi à une Olympiade : on y pratique, durant quelques temps, tous les sports de combat. Boxe avec coups en dessous de la ceinture rouge autorisés, judo avec prises non répertoriées, lutte gréco-romaine avec corps enduits d'huile pour ressembler à une insaisissable anguille des idées, karaté avec envol spectaculaire mais inefficace, pieds en avant, au-dessus du sol, sont au programme des soirées des militants (pour ce Congrès on parle plutôt d'adhérents que de militants). Ils regardent, parfois avec désintérêt, ces » pugilats « , ils suivent avec désespoir ces » rings » mais, le plus souvent, ils se délectent des coups échangés. Ils aiment la » castagne » tout en clamant qu'ils sont pour le rassemblement (voir ci contre) et plus encore pour l'unité. Ils savent que les vaincus sont toujours plus estimés que les vainqueurs. Ils ne veulent plus de querelles de personnes, mais font le maximum pour l’entretenir.
» Unité ! Unité ! Unité ! « clament-ils comme pour exorciser le spectre d'une division qui n'arrivera jamais tant que les intérêts seront finalement convergents. Mais unité pour quoi faire ? Ce devrait être l'enjeu du Congrès. On verra ce qu'il en restera dans quelques jours?
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