Sun, 02 Oct 2005 00:00:00 +0000
Encore un repas de famille dont je ne garderai aucun souvenir. Tout le monde s'est retrouvé pour vérifier que la nostalgie est bien ce qu'elle doit être encore : un baume pour les cicatrices du présent et une vitamine pour les mauvais jours de l'avenir. Celui-ci ne restera donc pas dans ma mémoire, car je n'y étais toujours pas. J'avais, comme on le dit d'habitude pour s'excuser, dans les manifestations officielles auxquelles la France d'en-haut ne veut pas assister, « un engagement antérieur « . Créon accueillait la journée annuelle des Médaillés militaires, et bien évidemment, après les cérémonies officielles, un repas interminable clôturait le rendez-vous.
Avouer que ce milieu là ne correspond pas à celui que j'ai l'habitude de pratiquer, c'est tout simplement être sincère. Pourtant, il ne faut jamais, quand on est élu, avoir un a priori sur un volet de la vie sociale et s'incliner devant les choix ou les préoccupations des uns ou des autres. C'est le journalisme qui m'a appris à respecter, quoiqu'il advienne, les réalités, et à ne pas essayer de les faire entrer dans son schéma de pensée personnel. Je m'astreins donc à participer à absolument toutes les réunions, toutes les manifestations, qui sont organisées localement. Ce dimanche matin a ainsi été ponctué d'un dépôt de gerbe au Monument aux Morts, d'une réception avec discours, et d'un banquet servi à une cinquantaine de convives. Le programme traditionnel d'une » journée patriotique « .
Ce type de rendez-vous est fortement touché par le contexte actuel, et reflète simplement les aspects négatifs de la vie collective : absence de motivation des personnes potentiellement concernées, effets de la réduction du pouvoir d'achat sur les dépenses annexes des retraités, diminution du nombre de récipiendaires. Ces éléments conjugués font que la » section » voit ses effectifs et son influence décroître au fil des ans. Il est vrai qu'une médaille, attribuée sur les critères » valeur et discipline « , n'a plus guère de chance de revenir massivement à des hommes du rang et des sous-officiers d'une armée professionnelle aux effectifs éphémères (voir le blog » La série qui manque « ).
Il règne donc, durant cette journée, une ambiance post-coloniale, puisque la majorité des ex-militaires présents ont été des campagnes d'Indochine, d'Afrique du Nord et même pour quelques-uns d'entre eux de la guerre 39-45. Ils se raréfient, et donc, écouter leur parcours constitue une extraordinaire leçon d'Histoire réelle de la France. Pas celle des livres » officiels » qui servent de support à de plus en plus rares cours, au collège ou au lycée, mais celle qui donne un saisissant raccourci de la dernière moitié du siècle. J'aime particulièrement leur faire narrer leur parcours personnel car parfois, pour ces hommes, le médaille militaire cache des aventures dignes de livres épiques qui ne seront jamais écrits, car peu glorieux pour notre pays des Droits de l'Homme. Face à moi, lors du repas, Hans un ancien légionnaire allemand, que je connais depuis une trentaine d'années, mais qui m'étonne toujours. Par curiosité, je reprends mon tic de journaliste pour discuter avec lui.
A 15 ans, en 1944, il est enrôlé de force dans les jeunesses hitlériennes. Le voici expédié sur le front de l'Est, sous la direction d'un jeune officier de 20 ans, totalement inexpérimenté, afin de tenter d'enrayer une débâcle inexorable de la Werhmart devant l'Armée rouge. Un défi impossible malgré, selon son récit, de multiples exécutions sommaires de soldats ou officiers par les SS. Il se retrouve avec une vingtaine de survivants dans la ville de Berlin, dévastée pour un dernier fait d'armes consistant à expédier un tir de bazooka sur le sommet de la Porte de Brandebourg. Un guetteur russe en fait les frais, et une patte de l'un des célèbres chevaux aussi (il faudra attendre des décennies pour qu'elle soit réparée). Fait prisonnier par les Soviétiques, il est expédié, à 16 ans, à pied, par la Pologne, dans un camp de travail près de Kiev, d'où il tente à deux reprises de s'évader pour récolter, lors de la seconde, une condamnation à 25 ans de travaux forcés. La troisième tentative sera la bonne car, avec quatre autres complices dont un officier interprète, il parvient cette fois à faire la belle. A l'issue de 6 mois de marche nocturne, il revient dans son pays pour? se retrouver face à un soldat russe occupant l'Allemagne de l'Est. Nouvelle capture, nouvelle évasion et emprisonnement durant un mois dans le secteur américain, avant l'amnistie des jeunes ex-soldats allemands de moins de 21 ans. Recherché par les services secrets soviétiques comme prisonnier de guerre en fuite, il est protégé par la CIA, moyennant un engagement de 17 mois » fortement conseillé » dans l'Armée américaine.
Nous sommes en 1950 quand il décide de rejoindre, pour échapper à sa jeunesse, la Légion étrangère française en se présentant dans une gendarmerie militaire. Billet pour Offenbourg, voyage pour une rapide instruction à Sidi Bel Abbes en Algérie, et un départ ultra rapide pour l'Indochine, où il commande les embarcations sur le Mékong. Chacun de ses souvenirs porte la marque des ravages de la guerre. Il quitte la Légion pour se marier avec une Indochinoise; et retour en Algérie en 1958, le pire moment. Il est embauché somme régisseur d'une immense propriété viticole proche de la frontière marocaine, exploitée? par un commandant de la Légion. Assis sur un arsenal, il parvient à préserver, à coups de feu, les biens dont il a la charge jusqu'à la fuite vers la Métropole, après sa condamnation à mort par le FLN. Un curé lui procure une place sur un bateau, en lui faisant promettre qu'il jettera définitivement ses armes par-dessus bord en mer. Heureuse promesse car, sur le port de Marseille, une compagnie de CRS attend, de matraque ferme, ces ultimes voyageurs dont on se doute qu'ils ne sont pas aussi blancs que les maison d'Alger? Une vie rangée l'attend, après qu'il eût décliné sa nationalité française !
Il referme son livre sur des images horribles, des exactions inexcusables, des trahisons, du sang, des larmes, des hurlements, des chocs, de l'héroïsme inutile et de la lâcheté coupable, des comportements seulement justifiables par la nécessité de survivre, des morts injustes, des trous insondables de conscience, des crimes sans châtiment, commis au nom du Peuple français.
Extraordinaire vie pourtant, que celle de cet homme dur comme la lame d'un poignard, qui lui a permis de parcourir, à chaque instant, cette période très trouble du XX° siècle. J'aimerais tant en savoir plus? pour mieux comprendre ce que moi, au plus profond de moi-même, j'aurais fait à sa place, dans un tel contexte. Mes combats les plus durs auront été électoraux, et ne m'ont jamais posé de problème de conscience. Je ne le regrette pas. Et ceux qui préte
ndent le contraire ne sont pas des lâches, mais des convaincus que l'homme est bel et bien un loup pour l'Homme. Et ça mérite des médailles.
Mais je déblogue?
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