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Le vrai bonheur de pisser libre

Dans la vie quotidienne il y a bien des gestes qui ne préoccupent guère même s’ils ont accompagné toutes les étapes d’une vie. Ils prennent pourtant une importance bien différente selon l’âge. Au risque que j’assume d’être taxé de je ne sais quel à priori pro masculin, je m’attacherai à évoquer le privilège de pouvoir pisser à sa guise. On ne se rend compte de ce que ce geste naturel apporte comme plaisir quand il est maîtrisé et volontaire.

Quelle jouissance par exemple de se libérer, le nez dans les étoiles, face à la nature dans le silence d’une nuit estivale ! S’affranchir des codes sociaux a toujours constitué un privilège qui devient de plus en plus rare tant nous sommes devenus des esclaves de la bien-pensance.

Rabelais a illustré ce geste auguste du pisseur prenant de la hauteur pour un geste auguste de domination du monde dans le chapitre XVII de Gargantua quand il installa son héros au sommet de Notre-Dame de Paris. Le défi a une portée philosophique par le lieu de son exercice et surtout par le fait qu’il témoigne de là-haut son mépris pour celles et ceux qui le prennent pour une bête de crique.

C’est avec grande joie que de là-haut il arrosa la capitale, pissant, pissant à tel point qu’il finit par noyer 260 418 Parisiens « sans les femmes et les petits-enfants ». Il pensait leur offrir un cadeau. En fait il n’y a eu aucun symbole de ce geste auguste. Alors que Bruxelles a fixé pour l’éternité celui d’un petit garçon joufflu déversant un jet gentillet au vu et au su de toute le monde. Qui n’a pas à la manière du Manneken-Pis eu envie de faire pipi sur l’gazon pour arroser les coccinelles (…) Pour arroser les papillons.

Il m’est même arrivé de faire des concours de distance de jets pour désigner le chef potentiel de la bande de gamins libres que nous étions. La statue du « petit homme qui pisse » vieille de plus de trois siècles a soulevé des polémiques et des tentatives d’enlèvement significatives du rapport que la société entretient avec un geste naturel.

Depuis la plus tendre enfance le pipi revêt une importance particulière. Si en plus il s’installe la nuit dans le lit, l’affaire devient d’importance. L’énurésie devient alors une honte, une peur, un fardeau révélateurs d’un mal-être psychologique. Là où l’acte revêt une certaine jouissance, il traduit le sentiment contraire. La liberté cède la place à la contrainte, à la réprimande, au conflit. On ignore alors que pisser peut devenir un plaisir et on le découvre un jour. Toujours trop tard. L’aseptisation galopante ne permet plus d’espérer un tel cheminement. La génération Pampers a remplacé celle des culs nus et des zigounette dans le vent.

En grandissant bien de ces protégés des fuites incontrôlables mettent de plus en plus en bière leurs inhibitions. La Coupe du monde de rugby n’est pas seulement un grand rendez-vous pour pisse-copie vantant les mérites des bulldozers dont on ne contrôle pas trop les urines. Des supporteurs venus d’Outre Manche soutenus par des locaux très aguerris auraient selon des témoignages dignes de foi, passé plus de temps entre le bar et les urinoirs que devant les performances de leurs favoris. Il paraît qu’il n’est même plus question sur leur passage, de troisième mi-temps mais de temps complet ! Même les marins du port d’Amsterdam chers à Brel qui ne pissaient que pour pleurer sont hors concours.

La capitale incontestable des pisseurs reste cependant Munich où en certains lieux le circuit de consommation directe entre le buveur et l’évacuateur ont été raccourcis au maximum. Il ne s’agit plus de plaisir mais simplement d’efficacité allemande. L’industrialisation détruit inévitablement la beauté du geste artisanal individuel. On est en effet très loin du pipi « gourmand » contre le mur de l’église faute d’avoir l’audace de Gargantua. Cet acte critiquable et même interdit, de miction impossible comporte bien des dangers. Il est d’ailleurs malvenu de ma part d’en souligner l’intérêt. Je l’admets volontiers.

Je me rends compte depuis quelques jours combien l’acte de pisser librement appartient aux plus précieux de ceux qu’offre la vie. Croire que d’en être privé est simple, relève de la posture médicale. Si en plus on sort d’une période de sondé contraint, la frustration augmente. Les aléas de l’âge font parfois revenir en enfance. C’est douloureux… mais pas irrémédiable. Il me tarde de retrouver un pré, des étoiles et l’air pur.

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Cet article a 8 commentaires

  1. Christian G

    Et voilà ! Créon a son JMDPIS. Bon retour au pied des arbres.

  2. christian grené

    Incontestablement, Jean-Marie, tu es le plus grand pisse-copie que j’ai rencontré. Et nul n’y voit à s’en plaindre.

  3. christian grené

    … N’en déplaise aux pisse-froid et aux pisse-vinaigra!

  4. J.J.

    Inspiré par les circonstances, Jean Marie a voulu nous offrir une célébration exhaustive de la manière de se débarrasser du trop plein d’un liquide corporel devenu parfois embarrassant, voire douloureux.
    Il y a parfaitement réussi : miction accomplie.

  5. LAVIGNE Maria

    Ah si le ciel pouvait pisser aussi ! les météorologues se sont encore trompés, revoilà le soleil.
    Bonne journée et prompt rétablissement à J.M

  6. Pierre LASCOURREGES

    Je pisse, donc je suis

  7. Alain .e

    Florent Pagny en avait fait une chanson , il me semble « ma liberté de pisser « …
    y a t’ il un message de soixante huitards avec les fameux hippies pi pi …
    en tout cas un espoir de paix  » love and pisse « et nous en avons bien besoin.
    Cordialement .

  8. J.J.

    Décidemment c’est un sujet qui inspire, ça coule de source ! Un vrai feu d’artifice, à moins que ce ne soient les Grandes Eaux.

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