Michel Rollet, enfant de Saint-Christophe des Bardes, professeur de mathématiques au Lycée Max Linder de Libourne, joueur puis président exceptionnel durant des décennies du club de football mythique de la Jeunesse Sportive de Saint-Christophe des Bardes, viticulteur talentueux du château familial Franc-Laporte est parti dans l’équipe de l’éternité. Voici l’hommage (forcément long pardonnez moi) que je lui ai rendu lors de ses obsèques au nom de la communauté de ses amis très nombreux.
« Quel étrange pacte avions nous signé, Roland, toi et moi, un jour où nous croquions la vie à belles dents et nous vidions nos verres de Franc-Laporte avec entrain. Tout nous incitait à envisager l’avenir de notre amitié comme durable et même immortelle. Une bonne étoile scintillait au-dessus de nos têtes. Etait-ce l’influence du Saint-émilion ? Probablement ! Mais quand tu évoquas ton souhait que nous nous engagions à être unis tous les trois jusqu’à le disparition du dernier d’entre nous nous avions été étonnés. Comment pouvais-tu imaginer qu’il y ait une fin à nos liens construits au sein de la JS ? Certes c’était la suite du fameux « un pour tous et tous pour un », formule illustrant l’état d’esprit de la JS mais il y avait un coté solennel qui nous avait impressionnés.
« Nous nous engageons à prendre la parole aux obsèques de chacun d’entre nous jusqu’au dernier en gage de fidélité ! » avais-tu énoncé. Bien. Inutile de discuter. Roland et moi avions accepté ce pacte scellé illico par une gorgée supplémentaire en pensant probablement que nous avions le temps de revenir sur ce qui semblait lointain. Nous nous sentions invulnérables comme protégés des aléas de l’existence par toutes les aventures que nous avions traversées, par cette envie de vivre qui nous avait animés, par cette soif de partager tout le temps, à notre façon avec les autres et entre nous. Roland est parti brutalement le premier. Tu as respecté le serment et moi aussi. Et me voici aujourd’hui à tes cotés pour le respecter mon engagement à mon tour seul alors que j’aurais bien aimé ne jamais avoir à le concrétiser.
Me voici désarçonné, comme nous toutes et nous tous ici, par la douleur de ne pas t’avoir accordé tout le temps que tu méritais, par les regrets de ne pas avoir compris que le match que tu disputais face à la maladie était perdu d’avance, par simplement de fait , de ne pas avoir été capable de te redonner une faible part de ce que tu nous avais apporté.
Michel, mon ami, mon équipier, mon camarade, mon frère d’idéal tu auras en effet été pour nous toutes et nous tous ici un pourvoyeur infatigable de bonheurs partagés grâce à ton dévouement de chaque instant, ton abnégation, ta motivation inlassable, ton altruisme dans toutes les déclinaisons de moments exceptionnels.
La JS était pour toi une sorte de centre social gratuit, solide, ouvert, tolérant voire indulgent sur lequel tu veillais avec tendresse et rigueur. Roucheyron était ton bureau, ta résidence secondaire, ton palais où tu accueillais tout monde dans la plus grande simplicité et où ta passion communicative compensait les défaillances matérielles. Des heures et des heures de soucis pour les autres, pour cette œuvre collective que devait être pour toi un club, pour espérer que nous soyons reconnus pour ce que nous étions et pas seulement par nos résultats. Tu étais l’homme du miracle permanent puisque tout reposait sur ta parole, ta force de conviction et ton enthousiasme faute d’autres arguments sonnants et trébuchants.
Saint-Christophe a été et reste encore l’exemple parfait du club respectable et respecté. Cinquante ans plus tard rappeler que l’on a joué à la JS constitue une référence, un label de qualité humaine. Je suis frappé par l’impact qu’a eu ton club, notre club, votre club dans le milieu du football amateur. Avoir porté les couleurs de la JS restera un honneur.
Michel, tu nous as mis pour certains d’entre nous, par tes mots, par ton exemple, par cette autorité morale qui était la tienne, par ta droiture, sur le chemin du plaisir de jouer pour un maillot, pour une équipe et plus encore pour un village. C’est la plus belle de tes réussites. L’esprit Saint-Christophe t’appartient. Tu en fus l’architecte et le maçon. Tu en fus le philosophe toi qui ne pensait que mathématiques. La JS aura été grâce à toi durant des décennies le creuset de valeurs que l’on pratiquait soi-même plutôt que de les énoncer pour les autres : respect, loyauté, fraternité.
Michel tu refusais l’injustice, l’intolérance, la vanité des réussites surfaites. L’authenticité et la simplicité ont guidé tes pas puis tes crampons. Abandonner le terrain avait été pour toi une vraie déchirure mais tu te l’étais imposée par lucidité et humilité.
Le club que tu avais relancé en 1970 (comme c’est loin !) a vécu comme une vaste famille avec ses enfants turbulents, ses membres exigeants, ses moments de partage et ses bouderies inoubliables. La désillusion de sa disparition t’a profondément marqué au point que tu ne voulais pas revenir sur ce site de Roucheyron où était installé la maison pour tous de la JS. J’ai moi-aussi du mal à y revenir.
Michel, tu nous as tendu la main, tu nous as protégés, tu nous as acceptés, tu nous as fait avancer en instituteur de village que tu étais. Seule la réussite du collectif et de chacun d’entre nous te préoccupait. Tu étais en définitive loin du lycée l’un de ces hussards noirs d’une République qui ne se contentaient pas d’instruire mais qui voulait éduquer. Tu gagnais la confiance par l’exemple et pas par la fonction comme tout bon enseignant proche du terrain. Ton indulgence que tes élèves ne soupçonnait pas, te conduisait à tout nous pardonner : nos excès, nos foucades, nos trouvailles saugrenues, nos débordements du moment qu’elles étaient dans l’esprit de la JS.
Mes amis, pensez un instant à tout ce que Michel nous a permis d’emmagasiner comme souvenirs d’anciens combattants du bien vivre ensemble. Tu étais aussi là pour donner un coup de pouce, pour aider, pour soutenir moralement, pour remettre en place. Tu n’a jamais refusé d’écouter (même tard le soir) et de tout tenter pour répondre à l’attente de celui que tu recevais.
Michel tu a imaginé, développé, construit en songeant avant tout aux autres qui n’ont surtout pas été pour toi l’enfer mais ton pain quotidien. Même après les années tout foot tu as bâti pour à la fois honorer ta dette vis à vis de ton passé familial et pour laisser une œuvre concrète à ta descendance.
Tu as parfois été déçu par les uns par les autres mais tu ne t’est pas arrêté pour autant sur leur échec et pas le tien. Tu cachais ces blessures dans l’humour ou le silence mais ton regard parlait pour toi. J’espère que tu as été globalement fier de nous.
« Pour ma part, je n’ai connu que le sport d’équipe au temps de ma jeunesse, cette sensation puissante d’espoir et de solidarité qui accompagnent les longues journées d’entraînement jusqu’au jour du match victorieux ou perdu. Vraiment, le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football » Je te dédie Michel ce constat d’Albert Camus, cet écrivain incomparable, ancien gardien de but qui n’a pourtant pas eu le privilège de jouer à la JS.
Camus aurait aimé, j’en suis sûr l’état d’esprit que tu avais su y créer. Tu ne l’emportes pas avec toi car tu l’as placé dans nos cœurs et il y est bien ancré.
Je conserverai ainsi de toi, comme beaucoup ici l’image souriante, active, modeste, franche de celui qui fut certes professeur de maths estimé, joueur redouté, président lucide, recruteur habile, animateur débridé de la JS mais aussi viticulteur passionné, bâtisseur avisé, ami attentionné, mari, père ou grand-père prévenant. Que n’as tu dû accepté Michèle pour que nous vivions dans la joie du partage.
Michel tu fus un ardent militant de l’amitié. Tu fus un acteur de la solidarité. Tu fus un exemple d’humanité. Tu fus un homme doit, sincère parfois craint mais juste et désireux de faire vivre des idées par l’exemple. Mais Michel tu fus surtout mon ami, notre ami. Te voici là-bas où survivent les forces de l’esprit.
Ne pleurez donc pas toutes et tous car vous pensez l’avoir perdu mais surtout en ce jour d’adieu réjouissez vous d’avoir croisé sa route et de l’avoir connu. Michèle, Corinne, vous ses petits-enfants sachez que la jeunesse et la vieillesse de Saint-Christophe partagent votre peine. »
La photo d’une équipe de la JSSC avec en haut à droite en joueur Michel Rollet il y a 50 ans avec les dirigeants tous disparus maintenant de ce club mythique
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« Michel tu refusais l’injustice, l’intolérance, la vanité des réussites surfaites. » Qu’est ce qu’il a dû souffrir ces années passées, quand l’appât du fric a mis en première ligne ses 3 refus !
Et ce magnifique hommage de Jean-Marie rappelle à ma mémoire cette « sévillane » qui évoque la douleur de perdre un.e ami.e… « Cuando un amigo se va, algo se muere en el alma » Quand un ami nous quitte, quelque chose meurt en nous…
Bonjour J-M !
Certes, il est délicat de commenter un texte aussi empli de sensibilité
Rien ne saurait chasser la tristesse résultant de la perte d’un Ami.
Mais … parfois… une chanson … peut nous indiquer le chemin de la Raison.
https://youtu.be/DVlh8Nl5o3g
Amicalement
Le bel hommage, rendu à celui qui était à la fois mon ami et mon adversaire. Sur le terrain et au lycée. Je n’évoquerai pas l’amitié, que tu évoques si bien que tout autre commentaire serait ici malvenu. Mais je n’oublie pas que Michel était aussi prof de maths au lycée, et je tique devant les mathématiques.
Un jour, sous le maillot de Saint-Emilion, j’ai marqué le seul but du match achevé héroïquement sur le score de 1-0. Je lui avais glissé: « Tu vois, le zéro il est pour toi ». Pourquoi faut-il que la mort me ramène à ce souvenir?