Respiration « ailleurs » avec un petit récit de voyage vieux de 12 ans à Cucugnan.. où il n’y a plus de curé !
Une large vallée derrière des barres montagneuses gris murailles sert d’écrin naturel à une perle posée sur l’un de ses rebords. Elle se découvre, blanche et mordorée, surtout pas parfaitement ronde, dominée par une bizarre excroissance lui donnant une imperfection originale. Loin des chemins battus et rebattus, Cucugnan semble née en ocre et en rouge comme ces sécrétions trouvées au hasard de l’ouverture d’un coquillage aux belles couleurs vertes.
Le village croyait avoir fui la célébrité pour se concentrer sur le travail de cette terre arable sur laquelle veille la silhouette altière, sorte de défi à la soumission de ces humains rampants, que demeure la forteresse de Quéribus. Elle est là, en face, comme un doigt pointé vers ce ciel inquisiteur, intolérant, absurde, ayant contraint les Cathares à chercher refuge dans des lieux réputés imprenables. De là-haut, ils avaient un œil sur ces horizons où montaient les fumées malsaines des bûchers, allumés par de prétendus défenseurs de ce qui n’a jamais été qu’un terrorisme intégriste.
Serrées les unes contre les autres au sommet d’une rocaille, comme apeurées, comme soucieuses de former un bloc, les maisons paraissent soumises à la tutelle provocante de ce château des résistants à l’opinion dominante d’une époque. Elles savent qu’elles sont les plus exposées aux visites plus ou moins amènes, et donc elles tentent de dissimuler leurs entrées dans des ruelles grimpantes.
Les hirondelles se font des demeures de terre sèche sous les bordures dentelées des toits, sans être chassées. Elles tracent leurs arabesques dans le ciel bleu, comme ivres de leur liberté retrouvée. Des cheminements tortueux conduisent en tous lieux, passant de soleil à l’ombre. Ils compliquent la vie des badauds actuels mais font aussi leur bonheur. Chaque coude, chaque bifurcation, chaque pseudo impasse ouvre, en fait, sur un recoin inconnu, un espace intime, une façade jamais ostentatoire. L’incertitude du lendemain pèse sur ce village d’hommes habitués à ne pas avoir un avenir serein. Ils ont construit, à flanc de rocher des bâtisses étroites, hautes, en pierres venues des champs voisins, ou du ventre des montagnes proches.
Elles symbolisaient leur richesse, leur soif d’exister face à ces lames grises que la forêt rabougrie de parvient pas à envahir. Leur seul compagnon de route était ce vent, dérouté par les zigzags des ruelles ou des « carreyrous » qui portait en fait les bonnes ou les mauvaises nouvelles en tuant les récoltes, en les arrosant, en déchaînant les orages, en réchauffant un air vif ou en rafraîchissant la chaleur sèche de l’été ! C’est ce vent qui porte les voix dans ses rues aux mille secrets.
« Bonjour mamie » lance un habitant préoccupé par le rafistolage de l’une de ces nombreuses demeures dont les volets claquent ou laissent percevoir des fenêtres aux carreaux brisés. « Comment vas-tu ? » interroge à son tour cette dame descendant prudemment la rue conduisant à ce qui tient lieu d’épicerie, à côté de la mairie. « Ça fait trois mois que je ne suis pas sortie…
– Vous avez mal choisi votre jour… Si vous avez un moment, Sophie est là. Passez la voir ! »
– Ah ! Elle est en vacances ! Je passerai.
– Vous voulez que je vous porte vos médicaments ?
– Si tu veux. Mais je crois que je suis foutue »
La vie coule ici au rythme de ces gens qui, comme les vieux de la Montagne de Ferrat, sont restés au pays tandis que les autres ont choisi d’aller vivre dans le formica. L’un d’eux est assis sur le rebord d’une fenêtre. Il guette un passant, pour nouer ce dialogue qu’il ne peut plus pratiquer avec son poste de télévision. La santé, le temps, les courses : banal, forcément banal, et loin du monde qui change. Eux, ont la vérité sur le curé Viguier qui a un dimanche parmi tant d’autres, secoué ce village pour qui la seule grand messe qui valait, était celle qui marquait la fin des moissons. On y buvait des chopines et on y racontait les histoires de cul…cul… gnan !
La tradition orale a perdu de sa vigueur. Plus personne n’a connu, celle ou celui qui avait entendu celui ou celle à qui on avait raconté ce fameux office où, de la très modeste chaire d’une église à la taille de la foi de ses villageois, le « curé » aurait selon Alphonse Daudet, joué les procureurs de la foi. « Coq-Galine » qui aimait la dive bouteille plus que sa femme « Clairon » dont il secouait souvent les puces ; « Catarinet » cette gueuse qui ne couchait jamais seule à la grange ; Pascal Doigt-de-poix qui piquait les olives ; « Babet » qui glanait les récoltes toutes faites ; Maître Grapasi qui avait inventé la roue de brouette silencieuse pour voler la nuit ; Dauphine l’usurière de l’eau ; « Tortillard » l’hérétique ; Coulau et sa Zette, Pierre, Toni… et tant d’autres, dont on imagine qu’ils vivent derrières ces vitres masquées par des rideaux aux dentelles protectrices. Ils ont quitté un à un le pays… emportant leurs défauts et leurs péchés potentiels.
Ces bouquets de giroflées qui survivent dans des murs de pierres arides, ces cyprès qui se balancent au vent mauvais, ces lilas qui pointent le nez hors des enclos, ces plantes réputées grasses mais surtout hérissées d’épines, qui menacent le passant malhonnête voulant les emporter, ils les voient tous les jours. Dans ce village peuplé par les secrets, hantés par les fantômes d’une époque, entretenu comme un bijou de famille, la seule foi possible c’est celle que l’on peut puiser dans le silence, dans la certitude que l’essentiel reste de savoir, à notre époque, donner du temps au temps.
« Depuis ce dimanche mémorable, le parfum des vertus de Cucugnan se respire à dix lieues à l’entour » expliquait Alphonse Daudet. Je peux en témoigner, mais les vertus de Cucugnan n’ont plus rien de religieux. Il y a longtemps que le curé est parti sous des cieux plus cléments avec son sermon qui niait le sel de la vie ! C’est mieux ainsi surtout par les temps qui courent vers un conformisme désespérant. Son sermon télé-réalité ne ferait plus peur à personne et on sent bien que Cucugnan ne s’en porte pas plus mal puisque le bonheur se faufile à l’ombre dans l’entrelacs des ruelles et les portes. Si ce n’est pas le paradis ça y ressemble.
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En fait Daudet n’a fait que retranscrire l’histoire écrite par un célèbre inconnu : Auguste Blanchot de Brenas, publiée par le félibre Roumanille , d’ailleurs Daudet reconnait qu’il n’est pas l’auteur de l’histoire :
« Et voilà l’histoire du curé de Cucugnan, telle que m’a ordonné de vous la dire ce grand gueusard de Roumanille, qui la tenait lui-même d’un autre bon compagnon ».
Nous rendant à Montpellier pour un AG, par le chemin des écoliers, nous sommes passés un bel après midi de printemps dans ce discret et modeste village au milieu des vignes conduites à l’ancienne, qui nous avait charmé, surtout après avoir lu l’histoire rocambolesque du sermon. Dans la grand rue (il n’y en a qu’une) nous avons été invinciblement attirés par l’odeur enivrante qui venait de l’auberge où l’on accommodait un lapin. Ce qui nous a permis de passer une charmante soirée dans la dite auberge tenue par de non moins charmants hôtes, afin d’être frais et dispos le lendemain pour faire l’escalade permettant d’accéder au château de Quéribus.
Soit dit en passant, c’étaient de rudes gaillards les personnages qui ont hissé les matériaux pour construire de tels châteaux, de même que les soudards qui montaient à l’assaut avec armes et bagages !
Bonjour et Merci Jean-Marie pour ton billet.
Coq-Galine m’a immédiatement fait penser à Notre Dame de la Galline, au-dessus de la Nerthe à Marseille et de la Gare de L’Estaque-13016 dont j’ai été le CG de 1981 à 1985. Elle est ainsi dénommée car la vierge marie tient une poule dans ses bras.
Mon amitié à tous,
Gilbert de Pertuis
Une « tartarinade » cucul-gnangnan vaudra toujours mieux qu’une tirade de Léon Daudet.
Holà gentes dames et damoiseaux… Savez-vous comment on dit « la poule » en espagnol ?
La gallina…