A-t-on perdu la notion même des saisons ? La piste dite cyclable Lapébie au moment où blanchit la campagne ne semble guère se préoccuper de la présence de ces signes hivernaux en étirant sous les rayons timides son ruban noir déserté par les promeneurs en tous genres. Certes l’hermine d’une gelée parfois présentée comme exceptionnelle, lui confère une prestance inhabituelle mais elle ne grelotte guère et paraît étonnée de ce qui l’entoure . Elle a emmagasiné au cours du reste de l’année suffisamment de chaleur pour ne pas ressentir un léger coup de froid. L’hiver ne change rien à son statut d’espace de vie.
Sa sombre nudité préservée de la couche de laque blanche passée sur le paysage tranche avec l’engourdissement général. Elle attend sans crainte ses amis du dimanche. Or il n’y a pas le moindre promeneur qui vaille ou pas un pneu à se mettre sur l’enrobé. Le calme plat. Si le grand silence blanc est un luxe très rare, elle s’offre en attendant une pause décorative éphémère et fragile. La piste respire la sérénité. Enfin presque.
Quelques merles ayant mal dormi dans la froidure s’énervent en mettant le bec dehors. La queue en l’air ils s’échauffent et lâchent quelques tirades colériques contre ce petit matin frisquet. Leurs querelles prennent une importance particulière et dépassent le cadre du voisinage. Réfugiés pour un petit-déjeuner des baies glacées restant disponibles dans les houppelandes de lierre tombant d’arbres fatigués, ils s’enfuient en criant leur désapprobation. Il n’y a que les geais pour rivaliser avec eux dans le niveau sonore et donner l’alerte.
Ces criailleries n’affolent pas les habitués qui sont davantage inquiets par l’absence de pitance en cette matinée givrée. Les passereaux constituent en effet le petit peuple laborieux de la piste. Quelques-uns d’entre eux n’ont pas l’habitude ni les moyens de s’offrir un hiver au soleil. Le réchauffement climatique n’est donc pas fait pour leur déplaire. La nuit a été longue pour eux. Faute de dénicher ces quelques fourmis dont ils rêvent ils les ont dans les pattes. Alors ils sortent de leurs abris de fortune où le froid les a saisis.
Les rouges-gorges appartiennent aux familiers de la piste. Dès qu’un rai de soleil frappe à travers les futaies dénudées, le revêtement de leur « table » quotidienne ces convives très frugaux viennent chercher leur pitance. Les feuilles mortes raidies par le gel deviennent impossibles à déplacer. Les graines sont engoncées dans une gangue verglacée. Il ne reste plus que ces minuscules parcelles de nourriture nichées entre les cailloux. Les petites boules de plumes sautillent comme si la fraîcheur du sol leur brûlait les pattes. Une danse solitaire qui s’interrompt à l’arrivée d’un intrus dérangeant. Toujours en alerte, cet hôte des sous-bois reste le plus beau des compagnons de l’hiver. Ils offrent un ballet qu’il faut savoir observer.
Profitant de leur légèreté exceptionnelle les rouges-gorges s’éclipsent au dernier moment vers les buissons d’où ils observent ces étranges créatures en lutte contre le temps qui marchent, courent ou roulent emmitouflées jusque par-dessus les oreilles. Ils se faufilent dans les ronciers ou les buissons n’abandonnant jamais l’idée de revenir sur leur territoire. Leur nature peu farouche et leur plumage attractif l’ont rendu populaire chez des générations de jardiniers alors qu’il semble beaucoup plus méfiant dans la nature non aménagée.
En cette matinée un peu rude, ils manifestent pourtant une familiarité plus grande. Ce n’est pas de la reconnaissance mais simplement le signe que son métabolisme, le manque de nourriture dû au froid, les rendent plus vulnérable et donc moins vifs et moins méfiants. Pour l’observateur attentif on suppose vite que ces poids plumes défendent leur territoire puisque d’un matin à l’autre on les retrouve aux même endroits en toute saison. Selon les ornithologues c’est pour eux une question de vie ou de mort. Casanier par manque de force ils luttent en permanence pour leur survie.
Son petit plastron plus ou moins rouge, signe de son envie de combattre, appartient à notre quotidien. Modeste, humble, incapable de coups d’éclats ou de comportements susceptibles de passionner les documentaristes, le rouge-gorge me paraît ce matin un vrai trésor. La piste l’aime. J’en suis certain. Elle lui offre l’hospitalité pour le protéger des morsures de l’hiver causant la perte d’un compagnon tellement familier qu’on ne le remarque plus.
Ce matin je pense en observant ses congénères à celui qui vient parfois faire un petit tour et puis s’en va dans le patio de ma maison. J’aimerai tant qu’il devienne mon ami et qu’il me fasse confiance. Dans le fond l’hiver pourrait m’y aider. En attendant je reviendrai me régaler du ballet des gorges rouges sur la scène blanche et noire de la piste.
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Belle page ! Pleine de poésie… poésie dont nous avons bien besoin en ces jours de morosité.
Merci Jean-Marie, la journée sera belle !
Quel régal que ta plume matinale !
De la belle concurrence à Guy de Maupassant (Nuit de Neige) !
…Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas….
J’ai un ami dans mon jardin, « Robin »(qui change tous les ans mais qui est toujours aussi familier ).
La semaine dernière, nous l’avons trouvé dans le panier du jardin en train de picorer les miettes du goûter. Notre présence ne le dérange pas
@ à J.J.
Et cette terrible nuit l’est aussi pour les sans abri !
Bonjour,
un peu de poésie matinale fait le plus grand bien, observer les oiseaux et autres petites bêtes du jardin est reposant pour beaucoup, sauf pour moi qui cherche plus à comprendre qu’à savoir.
Pour en savoir plus sur les oiseaux je vous suggère ce merveilleux site qui est une mine de renseignements. Un petit aperçu avec votre invité du jour, si commun et pourtant unique.
https://www.oiseaux.net/oiseaux/rougegorge.familier.html
Reconnaître et connaître les oiseaux, les photographier des heures de plaisir loin du bruit et de la fureur des hommes.
Bonne journée
@ à façon.jf
Une question : ce magnifique plastron rouge est-il visible tant chez le mâle que chez la femelle ? Il me semble que seul le mâle en est pourvu… Serait-ce pour plaire aux filles… !?
@ Laure à ma connaissance mâle et femelle sont munis du même plumage seuls les juvéniles doivent attendre leur deuxième année pour que le plastron soit de couleur vive. Le mâle et la femelle sont presque identiques, avec une couronne, des ailes, le dessus et la queue de couleur brune, une bande grise sur les côtés de la gorge, un ventre blanc et la fameuse « gorge rouge », plus précisément de couleur orange foncé tirant vers le rouge. Bien que sa face et sa poitrine soient plus orangées que rougeâtres, cet oiseau prend le nom familier de rouge-gorge au Moyen Âge. Cette contradiction est due à ce que la dénomination de la couleur orange n’apparaît en Europe qu’au XVIe siècle, par la diffusion sur ce continent de l’orange douce (le fruit) rapportée à la fin du XVe siècle par les Portugais de Ceylan et de Chine.
Et revoilà l’histoire humaine qui vient se mêler de la couleur des oiseaux … Et aussi de religion.
Dans l’hindouisme, l’orangé, ou le safran, est la couleur sacrée : c’est le feu purificateur, celui qui libère. Le Bouddha Gautama, renonçant à la vie mondaine, revêtit le linceul d’un mort trouvé dans un cimetière. Il s’agissait d’un drap orange, qui par extension devint symbole de renoncement. Un drap orange qui a inspiré la robe des moines bouddhistes.
Voila un petit oiseau qui nous fait voyager sans quitter notre jardin.
@ à facon jf
Merci à un ami fidèle qui enrichit mes connaissances.
Bonjour,
C’est avec plaisir que je lis ce billet sur ta petite promenade matinale. En ce qui me concerne, j’apporte depuis le retour de ce froid sur mon balcon, un peut de quoi à réchauffer ces quelques petits rouges gorges, de quelques victuailles grasses. « Comme disaient les anciens: pour combattre le froid, faut bien se nourrir ». (Est-ce vraiment le cas aujourd’hui, pour tout le monde ?)
@ à Jean-Claude
Aujourd’hui, chats, chiens et autres animaux sont mieux nourris que certains êtres humains… C’est la vie pour certains et hélas la mort pour d’autres !
Tes « Paroles » aujourd’hui se boivent comme du p’tit lait même si le mien, à cette heure, a une couleur anisée. Je dis « Paroles » pour emprunter à Jacques Prévert comme Zemmour emprunte aux… grands auteurs. Sauf que, dans le poème que je cite, son auteur écrit:
« Notre Père qui êtes aux Cieux/Restez-y/Et nous nous resterons sur la Terre, qui est quelquefois si jolie ». A l’autre mec dont j’ai du mal à parler je conseille de lire « La pluie et le beau temps », où Prévert ne cachait pas qu’il n’aimait ni les militaires ni les curés.
Allez! Un p’tit rouge dans la gorge maintenant pour qu’il ne prenne pas froid.
Merci Jean-Marie!
@ à mon ami Christian
C’est quoi cette couleur anisée… ?
N’oublie pas que pour perfectionner le chef d’œuvre il te faut faire abstinence, règle n°1 pour maîtriser ta concentration…
Bonjour Jean Marie,
très beau texte ce matin. j’adore.
je m’occupe des petits oiseaux de mon jardin en leur donnant des graines diverses et variées enrobées de margarine végétale. ils connaissent bien le jardin et je suis tellement contente de les voir.
merci aux autres « écrivains » pour leurs vers.