Sur la table tout ce que la cuisine marocaine porte comme soleil ou épices pour mettre en appétit les convives. En fait ce n’est pas nécessairement dans les restaurants que l’on découvre la spécificité des préparations culinaires d’un pays mais lors de ces repas préparés par des femmes discrètes dans une cuisine familiale. Elles ont quasiment le monopole de ce qui relève de la gastronomie. En disposant sur la table ces nombreuses assiettes dans lesquelles s’étalent des salades diverses, la cuisinière affirme sa capacité à diversifier les saveurs, les couleurs et les odeurs.
Tout repose sur un savant équilibre entre le sucré et le salé, entre le cru et le cuit, entre le grillé et le mijoté, entre l’épicé et le doucereux. Chaque « hors d’oeuvre » forcément dégusté en petite quantité agace ou rassure le palais. Les lentilles, oubliées dans nos menus de gala car trop marquées « cantine » ou les salades fortement renforcées par des oignons agressifs forment la base de ces « «échantillons » des produits frais locaux.
Toutes les cuisines méditerranéennes reposent sur ce principe de la multiplication des entrées en matière avec le maximum d’assaisonnements odorants. Elles favorisent le partage. Personne n’a le monopole d’une préparation. Se préoccuper des autres et savoir prendre sa juste part ou la délaisser au bénéfice des autres Les échanges autour de la table se trouvent ainsi facilités par les appréciations portées sur les coupelles soigneusement préparées. Impossible de trouver ces attentions sur les tables des restaurants pour touristes avides de tajines ou de couscous.
En fait la seule entrée en matière « individuelle », un tantinet authentique reste la soupe harissa que l’on trouve sur les cartes. Pois chiches, carottes,tomates constituent la base de ce « potage » dont il faut surtout humer le mélange de gingembre, de coriandre fraîche, de curcuma, de persil et d’oignons.Un bol de cette forme de « garbure » à base de bœuf doit être bien relevé pour que le repas débute au mieux et s’il ne l’est pas il devient très banal.
La suite d’un « vrai » repas marocain ne sera en effet qu’une alternance permanente entre agression et tendresse. La pastilla conjugue ces deux cultures voulant qu’au Maroc le sucré puisse se mêler au salé sans problème. Les caravanes traversant Fès apportaient ces deux produits de base et au fil des siècles ils ont été associés. Dans la pâte moelleuse chaque cuisinière va instiller son secret. Aucune « galette » dorée ne ressemble à une autre. Le poivre, le sel, l’huile, le persil vont côtoyer la cannelle, les amandes, le sucre semoule, le miel, le sucre glace… avec du poulet ou du pigeon et les inévitables oignons. Les pastillas fraîchement sorties du four doivent réserver leurs parfums à celle ou celui qui l’ouvre avec un couteau. C’est à cet instant que l’on sait si l’œuvre est réussie.
Vous devez éprouver la même sensation en soulevant le couvercle cheminée d’un plat à tajine. La qualité des légumes et leur degré de cuisson ne relève pas de l’approximation. Les courgettes, carottes, pommes de terre ou tomates ne sauraient être ramollies ou passées. Leur fermeté initiale décide de la qualité du résultat. Pour ma part j’adore les ajouts de citron confit, d’olives ou abricots secs qui confortent la constante marocaine de l’addition des saveurs. Peu importe la viande dissimulée sous l’accompagnement car l’essentiel du savoir-faire repose encore une fois sur les épices (coriandre, cumin, safran, piment, cannelle, curcuma, gingembre, poivre…) que les « touristes » n’apprécient guère.
Le mets royal demeure pourtant le couscous pour lequel il n’existe pas de recette institutionnelle puisque chaque cuisinière possède la sienne. D’ailleurs dans le riad où nous étions installés les deux préposées au repas que nous avions commandé avaient décidé de nous en proposer deux versions. Pour ma part je juge du résultat à travers la qualité de la semoule. D’ordinaire, la plus grossière est utilisée pour les couscous, la moyenne pour le taboulé et les desserts type semoule au lait, la fine pour la confection de pâtes mais aussi de crèmes, de soufflés ou dans les soupes. La dernière est la plus dure à travailler et il faut une dextérité particulière pour qu’elle reste légère et peu collante. Un couscous ne souffre pas la médiocrité de ces légumes et de sa sauce. Pour la viande: à chacun son choix !
Enfin s’il vous reste un place tapez dans un assortiment de pâtisseries. Attention les meilleurs sont celle qui ne sont pas trop sucrées. Difficiles à dénicher car le sucre ayant été un signe culinaire de richesse compte-tenu de sa provenance lointaine il entre dans quasiment toutes les préparations. Toutes les ambiguïtés du Maroc se retrouvent dans les assiettes.
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