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Ne refusez jamais d’aller à la soupe

« Faîtes de la soupe ! » : une incitation destinée à favoriser le lien social sur un territoire très hétérogène que je connais bien. Il existe bien des opérations de ce genre en France et dans le monde mais rares sont celles qui sont l’aboutissement de mois de travail avec le maximum de structures, d’établissements, de familles.

Certes il y a le jour du concours festif mais l’essentiel se situe en amont dans le partage considérable d’une patiente construction basée sur l’échange dans tous les milieux. Le centre socio-culturel « La Cabane à projets » porte en effet des valeurs essentielles dans une société oublieuse de l’intérêt des actions simples mais indispensables pour la qualité de vie.

La soupe reste le symbole le plus fort dans un repas de ce « mélange » constructif, positif, collectif dont la France a tant besoin. Elle a d’ailleurs été oubliée dans un contexte où on invente plus mais on suit ; où l’on ne rassemble plus mais on divise ; où l’on méprise les recettes du temps passé pour se réfugier dans des produits aseptisés réputés modernes. On dilue, on dégèle, on réchauffe mais on prépare de moins en moins, on ne dose plus, on ne pluche plus et on traque sans cesse tout ce que une diététique tyrannique dénonce.

La soupe aux noms différents d’une région à l’autre a constitué la base de la nourriture dans les périodes difficiles. Rien d’autre qu’une assiette chaude : ce fut et c’est parfois encore le menu d’un repas du soir. Du moins pour celles et ceux qui savent encore en apprécier l’intérêt. Considérée comme justement le plat du pauvre ou très pauvre la soupe s’affuble même depuis très longtemps de l’adjectif de « populaire ».

Dans absolument tous les pays du monde il en est ainsi. Dans le rues, sur les bancs publics ou dans les refuges un bol constitue parfois un trésor. Il apporte outre une nourriture appréciable, un geste de compassion ou de respect. « Aller à la soupe » n’a rien de péjoratif en pareille circonstance puisqu’il s’agit souvent de survivre. Durant des décennies on allait d’ailleurs souper entre amis !

Il existe des milliers de soupes différentes et nul ne peut prétendre que les meilleures reposent sur des recettes précises. Souvent improvisées ou relevant de savoir-faire familiaux transmis de générations en générations elles ne répondent pas aux critères des « potages » dont les dénominations flamboyantes ou sophistiqués ornaient les menus des restaurants ou des jours de fêtes d’antan. La différence tient aussi dans le récipient : une assiette creuse pour le potage et une calotte pour la soupe !

Autrefois il n’y avait pas en effet de véritables repas de gala sans le moment privilégié que constituaient une assiettée devant augurer de la qualité de la suite. Désormais cette « tradition » a disparu et seulement des godets minuscules de « gaspachos » ou de « veloutés » agrémentent les réceptions ou les buffets chics. Si parfois on y trouve de la « soupe » c’est avec du champagne qu’on la confectionne ce qui constitue un détournement manifeste du concept initial beaucoup moins excentique.

Un poireau, une carotte, une pomme de terre et un céleri permettent en quelques minutes de faire ce terrible bouillon de légumes destiné à faire oublier les fêtes de la veille ou la maladie. Y-a-t-il pire breuvage que cette eau claire ressemblant à une punition ?

A tout prendre je souscris , même en temps normal, à un tourin à l’ail blanchi qui lave autant les abus de liquide antérieurs. Il serait présomptueux de penser que cette soupe est à la portée du premier venu. Quelques morceaux d’ail trop cuits ou brûlés et un blanc d’œuf introduit au mauvais moment peuvent gâcher définitivement le mets apparemment simple à réaliser alors qu’il demande doigté et mesure. Bien entendu le vermicelle doit être adapté à ce tourin des gens pauvres !

Les véritables soupes regorgent de légumes frais. Il faut en mélanger le maximum avec un apport variable. Une vieille poule ayant mené grande vie ; un os de veau offert par le boucher ; du plat de côtes de bœuf ; un petit salé plongé dans les choux… et le plaisir est au rendez-vous pour plusieurs jours. L’œuvre culinaire doit être en effet durable et collective. Un peu de pain dur trempé dans le premier bouillon ou une gratinée aux oignons ! Des tagliatelles maison ajoutées. Des pâtes avec les lettres de l’alphabet. Autant de compléments qui ramènent à des époques révolues mais tellement belles.

« Mange ta soupe si tu veux grandir ! » disaient les grands-mères qui tentent de sauver les enfants de la punition. Elles ont raison car dans le fond celle ou celui qui n’a jamais goûté à la soupe ne sera jamais en mesure de partager les vrais moments de la vie que l’on ne connaît qu’au milieu des autres. Faites de la soupe et vous vivrez heureux.

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Cet article a 7 commentaires

  1. J.J.

    Une bonne soupe de salé , ou de pot au feu, par exemple, avec une bonne « godaille » ou « chabrot », selon vos origines, y a-t-il meilleure « viande »(plat, nourriture), comme aurait dit Rabelais, pour vous mettre le cœur en place et effacer les fatigues de la journée ?
    Ensuite, on s’étire un peu, puis, selon Jean Ferrat »on s’essuie d’un revers de manche les lèvres »(facultatif) pour attendre la suite des réjouissances.

    À l’École Normale, cette pratique était interdite, car paraît-il trop familière et portant atteinte à la dignité de celui qui s’y s’abandonnerait….

  2. Bernadette

    Bonjour,
    À la place d’un céleri, préfèrez de l’ache ou céleri perpétuel. Le coeur et les branches de céleri peuvent être consommés à part en légumes d’accompagnement d’une viande ou d’un poisson.
    A bientôt pour une recette de soupe locale

  3. TROUILLOUD Christian

    Mon cher Jean Marie, tu as oublié de nous donner la recette de la soupe politique, celle que tant de nos (ex?) amis sont allés manger dans des assiettes qui leur paraissaient beaucoup plus belles. Quitte à avaler quelques jolies couleuvres en guise d’entrée.

  4. François

    Bonjour !
    Quel titre-évocateur d’arômes de cuisine de campagne qui, le matin, embaumaient la cour de la ferme de mes grands parents. Même un célèbre chef bordelais de la Porte de la Monnaie vante, à la télévision, la simplicité et les bienfaits d’un tourin à l’ail blanchi ! !
    La soupe est certainement le plat où l’on obtient autant de parfums et de saveurs que l’on a de cuisinières…retraitées (les jeunes iront vite interroger « le marmiton.com » pour concocter une mixture standard )!
    Impossible de les départager car, à partir des mêmes ingrédients, il y aura x réussites toutes appétissantes.
    Ah la soupe ! Selon les saisons, les parfums changent : le « camagniot » du jambon défunt, les premières fèves, les feuilles de radis, les haricots grains frais, la citrouille, les poireaux, carottes et pommes de terre, le tout souvent agrémenté d’un hachis au hachoir dont la musique résonnait dans l’air matinal de la ferme mettant en appétit tout son monde laborieux.
    Certes, assis devant notre assiette fumante, avec notre air d’enfant dégoûté, nous avons tous entendu le fameux « Mange ta soupe et tu deviendras grand ! ». Cette expression devait avoir du vrai car nous avons tous … grandi. La soupe de Sadirac devait être excellente, semble-t’il ! ! !
    De grâce, évitez les soupes-papier, les briques et autres flacons tout prêts : ce sont des dépannages qui n’atteignent pas les « grands crus » d’un bon repas !
    Une recommandation ? Si, au gré de vos balades, vos chevaux vapeurs s’égarent et fatiguent en vallée d’Ossau, faites une halte à Gabas chez Vignau. Vous y découvrirez une garbure renommée accompagnée d’une omelette baveuse à souhait, suivi d’un Ossau-Irraty et d’un gâteau basque…dépaysé. C’est le point de rendez-vous de tous les randonneurs du jour qui ont gambadé sur l’échine de « Jean-Pierre (1)» : en plus d’une excellente garbure, vous aurez la satisfaction d’être entrés dans le monde des pyrénéistes.
    « Ne refusez jamais d’aller à la soupe »Oui, dans son sens premier. N’oublions pas le réconfort apporté par ce bol chaud donné dans une rue glaciale… Autrefois, on parlait de soupe populaire distribué par un parti ou l’Armée du Salut sans oublier, chez nous, à Bordeaux, le bateau-soupe d’Osiris (tapez bateau-soupe Osiris).
    Toutefois, dans un sens second, il faut noter que, dans certaines corporations l’expression  « Va à la soupe » interjeté envers un ouvrier signifiait la fin de son contrat dans l’instant, ce qui, bien sûr, donnait un mauvais goût à la soupe !
    Cordialement.

    (1) Mais c’est… bien sûr …le pic du Midi d’Ossau !

  5. J.J.

    @François : » La soupe est certainement le plat où l’on obtient autant de parfums et de saveurs que l’on a de cuisinières…retraitées. »

    L’écrivain cévenol Jean Pierre Chabrol(ne pas confondre avec le cinéaste qui s’appelait Claude )raconte dans « la soupe de la Mamée », cette absolument inimitable soupe que confectionnait sa Mamée, et qui permettait sans doute également de faire chabrol….
    À lire ou relire avec délectation.

    1. François

      Certes ! Mais le chabrol : » ….AVEC MODERATION !  » ! ! !

      1. J.J.

        Ça ne risque rien, en Charente, quand on fait chabrot, on recommande toujours quand on verse le vin : « n’en mettez pas « plus haut que les ranches »(les bords de l’assiette)….

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