Je suis certain que, quel que soit votre âge, vous vous posez la question essentielle de la vie : qu’est-ce-que le bonheur ? Si ça ne vous est jamais arrivé et même si vous ne goûtez pas à la philosophie posez-vous un instant, et tentez de fournir une réponse concrète, et surtout pas une version ésotérique. Vous verrez que ce n’est pas si facile que vous le pensez, car il n’existe pas une seule définition fiable, et en vivant au jour le jour sans trop analyser autre chose que nos déceptions, nous oublions véritablement l’essentiel. En fait, pour bien des gens, le bonheur ne doit être que matériel. Il se mesure, pour une grande part de la société, à la surface de la maison, à la cylindrée des automobiles, à la qualité de la coupe du costume, au lieu de vacances… ou à la hauteur du compte en banque. On compare, on envie, on désire, avec la sensation intime que si ce niveau n’est pas atteint, le cours de la vie est forcément injuste et ne mérite pas d’être suivi. D’ailleurs, nous avons globalement une fâcheuse tendance à exhiber nos peines, nos échecs, nos ratés, nos douleurs, plutôt qu’à rechercher dans le torrent violent du temps les infimes paillettes de moments heureux contribuant à faire la véritable fortune d’une existence. Chacun a son savoir faire pour les isoler, après des heures et des heures de travail, pour trier les tonnes de matériau inutile, et nul ne peut prétendre avoir le tour de main idéal.
Pour ma part, je me ravitaille en bonheur dans les yeux des enfants. C’est une source inépuisable pour celles et ceux qui prennent le temps de saisir le passage d’émotions sincères, rafraichissantes et surtout déconnectées des contingences matérielles. Le vrai métier originel d’instituteur ne pouvait pas se concevoir sans cette capacité à détecter ces éclairs de vie qui constituent l’essence même de ce que nous aurions dû rester. Certes, ma vision « rousseauiste » de l’enfant n’est plus portée par personne, puisque cette référence a été gommée de tous les registres officiels par des ratios, des instructions, des objectifs, des profits. Et pourtant… Penchez-vous sur un enfant et observez avec amour son regard, et vous y verrez passer tous les états d’âme que nous avons oubliés. Tous les vieux cons d’instituteurs d’une autre époque vous le diront : dans le regard d’un enfant, on décèle son passé, son présent et plus encore son avenir. L’absence totale de lumière, d’enthousiasme, d’étonnement, de curiosité, de sensibilité conduit à des horizons sombres. Il ne s’agit jamais de mesurer le confort matériel qu’on leur procure, mais de mesurer la manière dont ils l’apprécient et ce qu’ils en font !
Chaque fois que je saisis cet éclair extraordinaire me permettant d’être certain que j’ai déclenché une infime réussite, une plume de réflexion, un lumignon de plaisir et là, je prends ma dose de bonheur. C’est irréversible et je suis certain de « partir » un jour avec ce besoin permanent de prendre dans le regard des autres les raisons profondes de construire mon propre plaisir de vivre. Par contre, cette tendance a ses revers insupportables. Je ne supporte pas physiquement de voir l’inverse. L’indifférence, la détresse, la souffrance, le désarroi, me paralysent et effacent absolument tout ! Et alors, mon propre bonheur me devient exagéré, inutile… Or depuis des années cette facette de la société a pris le dessus sur tout le reste. Vous pouvez brasser des tonnes et des tonnes de quotidien sans saisir la moindre étincelle qui vous enflamme le cœur. Alors, quand c’est comme ça, j’ai une recette simple : je prends le temps de partager quelques heures avec mes petits-enfants pour cultiver le plus délicat des arts : celui d’être grand-père.
Je me gave de regards en essayant de ne vivre que pour eux. C’est mieux qu’un médicament, c’est une vraie cure de désintoxication à la drogue dure que constitue la vie publique factice et aride. Je reviens sur les plus belles heures de ma vie, celles où j’étais au milieu des enfants réputés les plus difficiles, les plus nuls, les plus incultes, et dont les regards passaient au fil des jours de l’obscurité profonde à une faible mais chaleureuse lumière. Ce sont eux qui ont construit mon bonheur, qui ressemble pourtant à ces châteaux de cartes splendides qui ne résistent jamais à la dure réalité d’un courant d’air.
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le bonheur….c’est souvent des choses trés simples….des instants….il faut être un peu attentifs et à l’écoute pour ne pas les manquer….et être conscient et aprécier quand c »est là………..
superbe!
Très beau texte, à vous lire, on pense : « si seulement Jean-Marie Darmian avait été l’un de mes Maîtres d’école………. »
Merci.
Extrait de la chanson Bonjour Monsieur Le Maitre d’ École :
Monsieur le maître d’école
Vous souvenez-vous encore de moi ?
…
Malgré le temps qui s’envole
Il en est pas moins vrai
Que les souvenirs d’école
Ne s’oublient jamais.
Monsieur le maître d’école
Je n’oublierai jamais le jour
C’était pendant le dernier cours
Dernier bagage
Quand j’ai senti poser sur moi
Votre main qui m’disait tout bas :
« Fais bon voyage… »
Monsieur le maître d’école
Y a pas à dire, ces moments-là
On y repense bien des fois
On s’les rappelle
Et on est même tout étonné
De ne jamais avoir donné
De ses nouvelles.
…
Bourvil, de son vrai nom André Robert Raimbourg, acteur, chanteur et humoriste français, né le 27 juillet 1917 à Prétot-Vicquemare (Seine-Maritime) mort le 23 septembre 1970 fut reçu premier du canton au certificat d’études primaires en 1931.